Europe : le moment Hollande, c'est maintenant

Par Phillipe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  907  mots
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Il y a un immense paradoxe dans la façon dont l'opinion française et l'opinion allemande abordent la crise de la zone euro, qui approche (une fois de plus, est-on tenté de dire) de son dénouement. Alors que, de l'autre côté du Rhin, les médias mettent tous les jours la pression sur Angela Merkel pour qu'elle ne cède rien, ou le moins possible, aux exigences de rigueur et de stabilité monétaire qui ont fabriqué l'exceptionnelle réussite actuelle de l'Allemagne industrieuse, l'opinion est en France incroyablement insensible aux conséquences financières des plans d'aide qui se multiplient.

« Le monde entier veut notre argent », se plaint le pourtant modéré quotidien Die Zeit. Rien de tel en France où ce débat est absent de la scène politique. Comment expliquer cette apparente insouciance des Français ? Ceux-ci devraient pourtant savoir que dans ces centaines de milliards d'euros mis sur la table pour sauver l'euro, il s'agit aussi de « leur » argent. La France est actionnaire de la Banque centrale européenne à hauteur de 20 % et contribue donc à ce niveau aux fonds de secours qui ont permis, jusqu'à présent, de tenir face à la spéculation. Certes, l'Allemagne, avec 27 %, est un plus gros contributeur encore. Mais la différence d'attitude entre les deux populations s'explique surtout par des raisons culturelles. Les Allemands ont fait, par deux fois au siècle dernier, l'expérience de la ruine monétaire par l'inflation. Et visiblement, cela les a vaccinés pour toujours contre les tentations de facilité. La France, elle, a surtout l'expérience de la « dévaluation latine », qui la situe encore dans le camp des pays considérés comme laxistes, ce tempérament national n'ayant été vaincu, et encore depuis peu (la dernière dévaluation du franc date de 1987), que par le choix, fondateur, de François Mitterrand d'arrimer notre monnaie au deutsche mark, par le truchement de l'euro.

Voilà l'enjeu du « moment Hollande » que nous allons vivre au cours des prochaines semaines. Ce sera le destin particulier du deuxième président de gauche de la Ve République que de confirmer cette alliance franco-allemande en allant au bout du raisonnement. Ou bien d'y renoncer parce qu'il sera trop difficile de rester dans la première division européenne. La France a déjà été expulsée de l'euro de football. Il ne manquerait plus qu'elle se disqualifie de l'euro tout court. Un président « normal » devrait donc prendre les Français à témoin du fait qu'en plaidant pour les eurobonds et la garantie des déposants, il les engage sur un chemin qui implique une perte de souveraineté nationale, ou en tout cas le transfert d'un certain nombre de décisions en matière de budget, d'impôt et de supervision bancaire, vers une instance supranationale, pour ne pas dire fédérale. L'anniversaire des 50 ans du Traité de l'Élysée, signé par le général de Gaulle et Konrad Adenauer, peut servir de marchepied politique pour avancer dans cette voie. On en est encore loin. Il y a peu de chances que du sommet de Bruxelles sorte un « super-traité de Maastricht bis », qui résoudrait en un clin d'?il tout ce que l'Europe n'a pas pu, pas su ou pas voulu faire depuis vingt ans. Ce qui est sûr en tout cas, c'est que la crise des dettes souveraines en zone euro a réveillé les consciences et que l'on a fait plus de progrès, sur un plan conceptuel, en trois ans, qu'au cours des dix années précédentes.

Pour François Hollande, le moment est venu de bouger. À ceux qui pensent que l'opinion française n'est pas prête à écouter la proposition faite par Angela Merkel d'une véritable union politique, une avancée dont on n'a pas assez souligné l'importance, un récent sondage (Opinion Way pour l'Institut Montaigne et l'agence Tilder) apporte un vigoureux démenti : les trois-quarts des Français interrogés (77 %) estiment qu'une Europe plus intégrée sur le plan politique, budgétaire et bancaire serait « une bonne chose pour lutter contre la crise ». Une majorité du même ordre a une préférence pour un retour à l'équilibre des comptes publics passant « avant tout » par une baisse des dépenses de l'État. De ce point de vue, il faut donner quitus au choix fait par le gouvernement Ayrault de geler les dépenses de l'État en terme réel pendant trois ans. L'affichage a de quoi rassurer Angela Merkel, même si on peut douter de la capacité de François Hollande à tenir sur la durée.

Disposant de tous les pouvoirs exécutifs, législatifs et régionaux, sans rendez-vous électoral avant les municipales de 2014, le « chancelier Hollande » a pourtant devant lui une conjecture incroyablement favorable pour réformer. Toutes choses égales par ailleurs, il se trouve dans la même situation que Gerhard Schröder, en 2003-2004, lorsque l'Allemagne était « l'homme malade de l'Europe » : une croissance en berne, une compétitivité déplorable, des déficits insupportables. Là encore, le destin a voulu que ce soit un chancelier social-démocrate qui a eu la vision et la responsabilité de mettre en ?uvre « l'agenda 2010 », dont l'Allemagne tire aujourd'hui les fruits. À l'automne 1997, encore ministre-président de Basse-Saxe, Schröder avait ironisé sur les choix de Lionel Jospin, Premier ministre : « J'espère que la France décidera de passer à la semaine de 35 heures à salaire constant. Ce sera très bon pour l'industrie allemande ». Comment ne pas faire le parallèle avec la récente boutade de David Cameron lors du G20, qui a dit vouloir dérouler le tapis rouge aux entreprises françaises si François Hollande persiste dans ses projets de taxation des hauts revenus et des grandes entreprises ? Dans la partie qui se joue en Europe, le temps est peut-être venu pour le président français de renoncer à la vie en rose pour donner d'autres couleurs, plus réalistes, à son projet politique.