Montebourg... Zorro ou Don Quichotte ?

Par Philippe Mabille et François Roche  |   |  783  mots
Arnaud Montebourg / Reuters
Il faut reconnaître une chose à Arnaud Montebourg : au moins, il tente quelque chose. Le troisième homme de la primaire socialiste s'affirme en tout cas comme l'homme de l'été, sinon de l'année, et peut-être, s'il réussit dans son entreprise, sera-t-il l'homme du quinquennat.

Confronté à la plus grande avalanche de plans sociaux depuis la crise de 2009, à la première fermeture d'une usine automobile en France depuis Billancourt il y a tout juste vingt ans, le héraut de la démondialisation est sur tous les fronts. Il affronte une réalité que la majorité précédente n'a pas su déjouer, malgré un « industrialisme » tout aussi vigoureux du précédent président de la République. Si Nicolas Sarkozy avait été réélu, nul doute que lui aussi aurait déclaré le plan de fermeture de l'usine d'Aulnay-sous-Bois « inacceptable en l'état ». Et réclamé, comme François Hollande, de tout tenter pour sauver un maximum d'emplois, à défaut de l'usine elle-même. Le patron de PSA, Philippe Varin, aurait été convoqué, une fois de plus, à l'Élysée. Et l'État n'aurait, sans doute, rien pu faire pour empêcher cette entreprise privée de procéder à une réduction de capacité si longtemps retardée. Avec le nouveau pouvoir, la méthode change : c'est à Bercy que Philippe Varin est venu défendre son plan ; et c'est Arnaud Montebourg qui monte en première ligne pour « inviter l'actionnaire », la famille Peugeot, à s'expliquer.

Faut-il s'en plaindre, dénoncer une inacceptable intrusion de l'État dans la gestion d'une entreprise privée ? Sans doute, avec les critères classiques de la liberté d'entreprendre. Les déclarations intempestives du pouvoir socialiste ont d'ailleurs été immédiatement sanctionnées par les investisseurs internationaux, choqués de voir mise à mal la liberté de licencier. L'action PSA, qui vaut 10 fois moins cher qu'il y a cinq ans, en a été encore plus fragilisée, ce qui a fait dire à un grand financier de la place que pour un peu c'est Tata, et pas l'État, qui sauvera PSA ! On imagine sans peine la tête du ministre du Redressement productif si le conglomérat indien lançait une OPA hostile sur le fleuron de l'automobile nationale.

Cela étant, il y a lieu de s'interroger sur la stratégie industrielle et sur le comportement de l'actionnaire. La famille Peugeot porte une responsabilité majeure dans les malheurs du groupe, pour avoir trop tardé à trouver une alliance capitalistique dans un monde en crise. L'industrie automobile n'échappera pas à une nouvelle vague de concentration. Évidemment, celle-ci favorisera les forts et pénalisera les faibles, c'est la dure loi du capitalisme. La séquence de 2012 - annonce surprise d'une alliance avec l'américain GM, puis fermeture de l'usine d'Aulnay - ne plaide pas en la faveur des actionnaires historiques de PSA, qui semblent en train de précipiter leur sortie du capital. Il n'y a pas de raison qu'en France le contribuable passe à la caisse avant les actionnaires. Quand des erreurs de gestion sont commises, la sanction du marché est légitime.

Pour l'instant, Montebourg est encore un peu plus Don Quichotte que Zorro. Il fait des moulinets, dit vouloir « réarmer la puissance publique » en se référant au Colbert du Grand Siècle... Mais il manque cruellement de moyens. L'État est trop pauvre pour se lancer dans une vague de nationalisations-sauvetages de l'industrie nationale à la mode 1981. Le discours du don-nant-donnant a ses limites : retirer des aides publiques à des entreprises en mauvaise santé est aussi absurde que d'appliquer les sanctions du traité de Maastricht à des pays en pleine récession. Quant aux relocalisations, il ne faut pas s'attendre à des miracles, même si le consommateur devient un peu plus patriote. Pour échapper au syndrome de l'impuissance sur lequel se sont épuisés nombre de gouvernements, Arnaud Montebourg va donc, c'est la bonne nouvelle, forcément devoir évoluer. Tout dépend quelle économie on veut. Dans le monde développé, la part de l'industrie recule, inexorablement. C'est ce que les économistes appellent le hollowing out, que l'on pourrait traduire par « économie évanescente » : au Japon, aux États-Unis, on entre dans une ère postindustrielle où la valeur ajoutée réside dans les brevets, la R&D. De plus en plus fabless (sans usines), les pays occidentaux deviennent des économies de rente, qui délèguent la fabrication et l'assemblage aux pays où le coût du travail est le moins cher. Évidemment, cela pose quelques petits problèmes : une forte concentration des richesses, entre les mains de ceux qui possèdent les brevets, à laquelle la fiscalité peut répondre ; et un problème massif de reconversion des emplois qui disparaissent, qui pose un défi au système de forma-tion et d'enseignement supérieur. Comment protéger mieux les personnes, à défaut des emplois : voilà le véritable défi des années à venir et l'enjeu des grandes réformes sociales en gestation.