Florange : la fin ne justifie pas les moyens

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  1125  mots
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Pas de fermeture des deux hauts fourneaux, qui seront maintenus en état de fonctionnement dans l'attente de l'encore hypothétique projet d'acier propre captant le CO2 Ulcos (pour lequel un feu vert de l'Europe est espéré en décembre) ; engagement d'ArcelorMittal d'investir 180 millions d'euros sur cinq ans à Florange ; et retrait du projet de restructuration qui menaçait 639 emplois (sur environ 2500 sur l'ensemble du site). Selon toutes les apparences, l'accord intervenu vendredi entre l'Etat et le groupe sidérurgiste constitue une victoire politique pour le gouvernement.

Le 24 février, le candidat François Hollande, juché sur le toit d'une camionnette, avait pris la défense des salariés de Florange en promettant une loi pour obliger les entreprises à céder une unité de production rentable plutôt que de la fermer. Après l'échec de Nicolas Sarkozy à Gandrange, Florange était devenu le symbole de la résistance à la désindustrialisation du pays. En juillet, dans le rapport sur la situation de PSA, une mission d'expertise de Pascal Faure avait conclu à la viabilité du site de Florange. Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif, s'en est fait le hérault, engageant un bras de fer avec l'actionnaire, la famille Mittal, pour empêcher la fermeture d'un site qualifié de « stratégique » pour la France.

Marchand d'illusion

La menace d'une « nationalisation transitoire » du site, un moment mis sur la table des négociations par François Hollande lui-même, a donc rempli son office. Bousculer Mittal et l'obliger à faire un pas en arrière. La fin justifie les moyens, a considéré le gouvernement qui a laissé Arnaud Montebourg agir à sa guise, quitte à le lâcher en rase campagne au dernier moment, celui de la conclusion de cet accord.

A l'évidence, Jean-Marc Ayrault, qui a repris la main vendredi sur le dossier, a instrumentalisé son ministre du redressement productif. Aurait-il obtenu de telles concessions du groupe sidérurgique sans la menace brandie par Arnaud Montebourg d'une expropriation ? Sans doute non. Si l'objectif du gouvernement était d'arrêter le plan social, on peut dire que l'opération a réussi.

Mais Arnaud Montebourg sort néanmoins très affaibli de cette bataille. En laissant entendre qu'il n'y avait en réalité pas de repreneur crédible et ferme prêt à reprendre la totalité de l'usine de Florange et à y injecter 400 millions d'euros, comme l'avait imprudemment affirmé Arnaud Montebourg, Matignon a achevé de détruire la crédibilité de sa créature Montebourg, qui est apparu, notamment aux yeux des salariés et des syndicats de Florange comme un menteur et un marchand d'illusion.

La nationalisation, un fusil à un coup

C'est la leçon à tirer de cette triste histoire. Le combat mené pour préserver le site de Florange était certainement justifié. Certes, le cycle de l'acier est très difficile et pouvait expliquer la restructuration économique voulue par Mittal. Mais, alors que la dégradation de l'emploi s'est très fortement accélérée depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir, pour culminer à un rythme de 1500 chômeurs de plus par jour depuis la rentrée de septembre, laisser tomber Florange aurait été un symbole politique désastreux pour un gouvernement qui affiche une stratégie productiviste. La situation géographique de Florange, proche du marché automobile allemand, en plein boom, la qualité reconnu de ses aciers plats imposait de tout faire pour préserver ces savoir-faire. Grace à Arnaud Montebourg et à sa pseudo-nationalisation temporaire, le monde entier a entendu parler de Florange et a vu qu'il était possible pour un gouvernement déterminé de faire reculer un puissant capitaliste.

Voilà pour l'acquis. Mais, au passif, le dossier laissera des traces profondes. D'abord, chez les ouvriers de Florange à qui on a fait prendre des vessies pour des lanternes en leur faisant croire qu'on allait les « débarrasser » selon leurs propres termes, du méchant Mittal. D'où leur déception bruyante vendredi soir, occultant la bonne nouvelle de l'abandon du plan social. Il sera très difficile de rétablir la confiance sur la fiabilité de la parole du ministre du redressement productif qui a utilisé dans cette affaire « un fusil à un coup », selon le mot d'un conseiller de l'Elysée.

Ensuite, dans l'opinion, c'est pour François Hollande une victoire à la Pyrrhus. Car en refusant la voie de la nationalisation partielle, le président de la République a clairement pris parti pour tous ceux qui, dans son entourage, notamment Michel Sapin et Pierre Moscovici, l'ont mis en garde sur les dangers d'une telle approche sur l'image de la France auprès des investisseurs étrangers. « Say Oui to France » proclame la dernière campagne de l'agence française des investissements internationaux (Afii), réalisée par l'agence Publicis. Et de fait, dans les arguments utilisés pour défendre l'attractivité de notre pays figure en toutes lettres la stabilité de son système politique et le respect du droit de propriété, principe fondamental de l'économie de marché. En désavouant Arnaud Montebourg et tous ceux qui, à gauche, mais aussi à droite, le pressaient de nationaliser Florange, François Hollande a tranché : il y a quand même des limites au socialisme quant il est au pouvoir.

Changer de méthode

Comme il est à craindre que d'autres plans sociaux vont suivre, malheureusement, à commencer par la raffinerie Petroplus pour laquelle il n'y a pas plus de repreneur libyen que de repreneur russe ou chinois pour Florange, le risque est de voir François Hollande être condamné à l'impuissance face aux appels à la nationalisation que ne manqueront pas de lancer tous les salariés concernés. Tout cela va faire les affaires du Front de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon qui ne manquera pas de critiquer la mollesse de ses anciens amis.

L'arme de la nationalisation ne pouvant plus servir à l'avenir pour contraindre d'autres entreprises de renoncer à leurs plans de restructuration, il va falloir que le gouvernement change radicalement de méthode. C'est tout l'enjeu de la négociation sur l'emploi en cours entre les partenaires sociaux. Une nouvelle mouture de la proposition patronale est sur la table, mais les concessions ne semblent toujours pas de nature à aboutir à la signature des syndicats. Condamné à plus de mesure, si cela est possible, Arnaud Montebourg va devoir laisser la main à son plus discret collègue du Travail, Michel Sapin, qui va être en première ligne dans les mois qui viennent alors que le taux de chômage se dirige inéluctablement vers la barre historique des 11%. Protéger les usines, c'est très bien, quand c'est possible, mais libérer l'emploi en France, ce serait encore mieux. C'est l'étape difficile qui attend désormais François Hollande sur le chemin du réalisme économique par temps de crise.