Mali soit qui mal y pense

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  986  mots
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Combien de temps ? Quels buts de guerre ? Quels risques ? L?intervention de la France au Mali domine désormais tout l?agenda politique. François Hollande, qui a présidé hier un nouveau conseil de Défense à l?Elysée, s?est longuement justifié lors de ses v?ux à la presse sur les raisons qui l?on poussé à décider cette intervention militaire sans prendre le temps d?en demander l?autorisation au Parlement. A l?Assemblée nationale, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a défendu les premiers résultats de cette action, qui a stoppé l?avancée des rebelles jihadistes et créé une union sacrée au niveau international comme national. Aucun vote du Parlement n?est nécessaire pour cette opération militaire extérieure sous mandat de l?ONU, sauf si elle devait se prolonger au-delà de quatre mois comme le prévoit l?article 35 de la Constitution.
Ayant fait l?unité de la nation autour de lui, le président a gagné la bataille de la crédibilité. Se posant en chef de guerre, il a brutalement mis fin aux fines plaisanteries de tous ceux qui dénonçaient jusqu?ici son indécision et son manque de fermeté. Au contraire, il donne l?image d?une France courageuse et prête à assumer ses responsabilités internationales de grande puissance, même s?il s?agit de son ancien pré carré africain. « Flanby » a disparu du paysage pour donner naissance au nouveau Hollande, celui de 2013, déterminé à se battre sur tous les fronts : celui de l?emploi et de la reconquête économique, mais aussi sur la scène diplomatique et désormais militaire. Certes, il y a quelques voix discordantes, à gauche de la gauche comme à droite, pour critiquer une opération qui rappelle par certains aspects la françafrique d?autrefois, y compris de façon assez curieuse l?ancien président Valéry Giscard d?Estaing qui a rejoint Dominique de Villepin et Jean-Luc Mélenchon pour dénoncer une opération néocoloniale. Mais en dehors de ces voix minoritaires, et de quelques attaques à droite contre une opération visant à faire diversion, l?immense majorité de la classe politique est au garde-à-vous derrière le président, reflétant en cela l?état actuel de l?opinion.
Cette unanimisme est-il durable ? Si la légitimité de l?intervention, nécessaire pour empêcher l?installation d?un Etat « taliban », terroriste et mafieux, au c?ur de l?Afrique de l?ouest, n?est pas remise en cause, il n?est pas certain que l?opinion soit préparée à la perspective d?un long conflit, coûteux en vies humaines et en moyens financiers. La prise d?otages au sud de l?Algérie est une première alerte qui montre que rien ne sera plus désormais comme avant que c?est à un état de guerre que doivent se préparer les entreprises, françaises comme étrangères (dans le cas d?espèce les rebelles islamiques se sont attaqués à un site gazier exploité par BP et Statoil) installées dans la région.
Face au risque non négligeable d?un enlisement, voire d?une extension d?un conflit qui s?inscrit dans la continuité de ce qui s?est passé en Libye, la France court le danger de rester seule face à un conflit qui la dépasse largement. Certes, on attend avec impatience l?arrivée de la force africaine mandatée par l?ONU, la Misma, mais son déploiement opérationnel prendra du temps. Ce sera donc aux troupes françaises d?occuper le terrain. L?Europe est aussi en train de se mobiliser, pour apporter à la France des moyens logistiques et financiers. Mais on a vraiment l?impression que, comme il n?existe pas d?Europe de la défense, la question malienne n?intéresse guère l?Europe qui a d?autres préoccupations, notamment la crise économique. On l?a du reste vu avec l?échec de l?Union méditerannéenne. L?Europe du Nord ne se sent pas beaucoup impliquée par ce qui se passe au sud de la Méditerranée. Et encore moins a fortiori au sud du Sahara.
Quand aux Etats-Unis, s?ils soutiennent la France politiquement, leur diplomatie actuelle les pousse plus à revenir vers leur splendide isolement qu?à venir prêter main forte à François Hollande. Après les guerres en Irak et en Afghanistan, l?Amérique ne veut plus jouer le gendarme unique du monde et souhaite visiblement que d?autres, notamment l?Europe prenne le relais. Il faut dire que le Mali ne présente économiquement guère d?intérêt sur le plan stratégique pour les Etats-Unis.
François Hollande l?a dit : la France n?avait pas d?autre choix possible que d?intervenir. Elle le fait au nom de la stabilité de l?Afrique qui, comme l?avait dit de façon prémonitoire le président de la République lors de son discours à Dakar dés la mi-octobre : « l?Afrique est portée par une dynamique démographique sans précédent : la population au sud du Sahara doublera en l?espace de 40 ans pour atteindre près de 2 milliards en 2050 (?) C?est aussi une terre d?avenir pour l?économie mondiale. Sa croissance, ces dix dernières années a été l?une des plus fortes du monde émergent ». Ce qui se passe au Mali n?est donc pas seulement le problème de la France. C?est aussi le problème du monde. Voilà pourquoi il faudra, si le conflit s?enlise, que le monde rejoigne la France dans cette guerre dont l?enjeu est rien moins que d?éviter à toute l?Afrique de rater le virage de son entrée de plain pied dans la mondialisation.