Le cadeau empoisonné de Bruxelles à François Hollande

Par Eric Walther, directeur de la rédaction  |   |  691  mots
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François Hollande doit-il se réjouir du délai de grâce accordé par Bruxelles pour atteindre l?objectif de 3% de déficit budgétaire ? A entendre le silence de la plupart des responsables gouvernementaux à l?issue de cette annonce, on peut légitiment en douter. En première lecture, il y aurait pourtant tout lieu de se féliciter de ce petit évènement. Après tout, avoir réussi à enfoncer un coin dans le monobloc de la Commission sur un sujet aussi sensible pourrait être porté au crédit de l?action d?une France qui ne cesse de clamer que l?Europe ne peut se contenter de l?austérité budgétaire pour seule religion économique.

En outre, ce « moment de souplesse » n?a pas été obtenu à l?issue d?une confrontation directe avec l?Allemagne, propre à ranimer les braises d?un feu qui couve depuis plusieurs semaines. Enfin et (presque) surtout, ce petit bol d?air devrait enrayer la montée des contestations sur la gauche de François Hollande, à l?intérieur et hors du PS et désormais au sein même de son gouvernement, qui vilipendent cette austérité jugée mortelle pour la croissance et donc pour l?emploi. A deux jours de la manifestation qui doit rassembler la gauche de la gauche emmenée par Jean-Luc Mélenchon, cette surprise ? c?en est une, rappelons-le - ne tombe pas si mal.

Pas de quoi fanfaronner

Sauf que. Sauf que cette complaisance bruxelloise ne fait qu?en réalité acter une réalité masquée que tout le monde devinait : l?objectif de 2,9% pour 2014 affiché par la France était sinon farfelu, en tout cas fort audacieux dans une conjoncture qui s?annonce toujours détestable. Et ce d?autant que le président de la République s?est engagé formellement à ne pas lever d?impôts supplémentaires imprévus l?an prochain. François Hollande pourra juste se féliciter de ne pas avoir à lui-même annoncer ou pire, subir une dérive budgétaire, à moins qu?il n?eût décidé de resserrer la vis budgétaire, ce qui aurait été politiquement insupportable et économiquement périlleux.

Ce n?est pas tout. A lire les commentaires d?Olli Rehn, le commissaire aux affaires économiques et monétaires, qui ont accompagné ce délai de grâce, il n?y a pas lieu de fanfaronner. D?une sévérité écrasante sur la situation de la France, d?une intransigeance sans faille sur la nécessité de poursuivre des réformes profondes, ils nous classent de fait dans les rangs des pays en grande difficulté, au même titre que l?Espagne ou l?Italie, qui eux aussi ont eu droit à la clémence bruxelloise. Et donc installent Paris en position de faiblesse dans sa relation avec Berlin qui n?en demandait pas tant.

Angela Merkel ne cèdera pas
Alors que peut faire François Hollande de ce cadeau empoisonné ? A priori pas grand-chose. En profiter pour lâcher un peu sur la rigueur imposée au pays ? Impossible, on l?a vu, sauf à tabler sur une reprise économique rapide qui découlerait de cette pause. Un jeu très dangereux car, on le sait, la France a de très faibles capacités de rebond immédiat. Tirer parti de cette « ouverture » bruxelloise pour convaincre l?Europe d?accélérer un programme de relance de croissance sur lequel le président de la République a en grande partie échoué depuis un an? On peut raisonnablement douter qu?Angela Merkel, à mois de six mois des élections allemandes, cède sur ce terrain-là, face à un partenaire à qui elle pourra ressasser l'urgence de mener ses réformes puisque c?est la Commission qui le dit.
Espérer la constitution d?un front uni avec les désormais collègues des pays du Sud, notamment l?Italie ? Très incertain, vu leur situation politique pour le moins fragile.
Alors, le mieux que le président de la République ait à faire c?est, probablement et malheureusement, pas grand chose.