Europe, année zéro

Par Philippe Mabille  |   |  918  mots
Mardi 22 mars, en hommage aux victimes des attentats terroristes qui ont frappé la capitale belge, la Commission européenne a mis tous ses drapeaux en berne.
En perpétrant leurs attentats à Bruxelles, capitale de la Belgique, les terroristes de Daech ont aussi frappé le coeur d'une Union européenne, qui, après la crise grecque et celle des réfugiés, doute de plus en plus d'elle-même.

13 novembre 2015 à Paris ; 22 mars 2016 à Bruxelles. Pour la deuxième fois en quatre mois, l'Europe vient de subir une attaque aveugle visant sa population civile. Revendiqués par l'Etat islamique, ces deux massacres ont pour point commun d'avoir été perpétrés par des jeunes islamistes radicalisés au cœur de nos sociétés, constituant une inquiétante armée de l'ombre difficile à identifier. En visant Bruxelles en début de journée, son aéroport international et son quartier européen, les terroristes n'ont pas frappé au hasard : après Paris et sa jeunesse fan de concerts, de football et de terrasses de café nocturnes, c'est le symbole même de l'Europe que Daesh a ciblé, comme pour signifier que la confrontation est totale avec notre projet de civilisation, dont l'idéal européen est l'expression la plus aboutie.

Guerre globale

Sans doute préparées de longue date, les attaques de Bruxelles, dont Salah Abdeslam, l'un des auteurs des attentats de Paris, arrêté à Molenbeeck, serait l'un des organisateurs, est une réplique, parmi la multitude de celles qui ont heureusement pu être déjouées, d'une guerre globale, hélas sans doute pas la dernière. Cette attaque, par son mode opératoire - des commandos-suicide -, montre que tous les plans « Vigipirate » du monde ne peuvent empêcher que le pire se produise. Nos sociétés libres et démocratiques pourront-elles le rester en vivant avec cette menace redoutable et permanente sur leur sol ? Faudra-t-il se résoudre à réguler l'accès aux halls des aéroports et des gares, et de tous les lieux publics ? Au-delà du constat de l'extrême fragilité de notre mode de vie et de la vulnérabilité de nos métropoles, c'est l'avenir même de l'Europe qui se joue avec cette crise.

Née au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l'Europe s'est bâtie sur trois promesses : la paix entre les nations ; la croissance économique et sociale ; et la liberté de circulation, des hommes comme des marchandises. Or, ces trois fondements sont en recul alors que la crise des réfugiés et le risque terroriste érigent des barbelés entre les pays de l'Union.

La pression des opinions

La paix et la libre circulation ? Les autorités politiques ont de plus en plus de mal à résister à la pression des opinions, qui ont complètement changé d'attitude à l'égard des réfugiés, à l'image de l'Allemagne. Plébiscitée au départ, la « générosité » calculée d'Angela Merkel s'est retournée contre elle, et a fait monter l'extrême-droite lors des dernières élections régionales. L'attitude de l'Autriche et des pays des Balkans à l'égard de la Grèce, menacée de devenir un gigantesque « hotspot » sur la frontière sud de l'Europe, est contraire aux traités, sans que Bruxelles ne prenne la moindre sanction. La seule chose que les Etats-membres ont su faire, c'est de suspendre le droit d'asile qui est pourtant une obligation internationale. En projetant de renvoyer les réfugiés vers la Turquie dans l'accord signé la semaine dernière, l'Europe n'a en rien réglé le problème, mais a renforcé le pouvoir du président turc, Recep Tayyip Erdogan, en position de force avec les 3,1 millions de migrants réfugiés sur son sol, qui n'espèrent qu'une chose, venir en Europe.

Déverser l'argent depuis un hélicoptère

La croissance et l'emploi ? Malgré une timide reprise, le fait qu'un responsable aussi sérieux que Mario Draghi, le président de la BCE, juge « intéressante » la théorie de Milton Friedman selon laquelle il serait plus efficace pour ranimer l'économie de déverser de l'argent depuis un hélicoptère en dit long sur l'état d'impuissance des autorités monétaire face à la déflation. En arriver là, ce n'est pas vraiment un signe de confiance dans la capacité de l'Europe de sortir de la trappe dans laquelle elle se débat.

2016 sera donc une année décisive pour l'Europe. Sans vision commune, sans solidarité financière et sans projet politique, l'Union pourrait éclater si rien n'est fait pour la relancer. Dans le long entretien qu'il a accordé dans la nouvelle formule de notre confrère l'Express, publié le 9 mars, Emmanuel Macron le dit sans ciller : « Si les gens ne croient plus en l'Europe et en la zone euro, il faut les démanteler. Sans les contraintes européennes sur le plan budgétaire, notre rééquilibrage économique serait plus fort et plus rapide. A mon avis moins pérenne, mais, si c'est pour avoir la souffrance du court terme sans la solidité du long terme, il vaut mieux tout détricoter ». Propos incroyables de la part de cet européen convaincu, qui en disent long sur l'état d'esprit des dirigeants face aux défis que l'Europe affronte.

Bien sûr, Macron préférerait que 2017, année où coïncideront l'élection présidentielle en France et les élections générales en Allemagne, soit l'occasion d'un sursaut, et d'une adaptation des traités européens. Mais qui croit que l'Europe soit en état de le faire, à trois mois d'un possible Brexit qui donnerait le signal du délitement. Il est donc temps de nous souvenir, à l'heure où Bruxelles est endeuillée, que l'Union européenne, le projet dans lequel nous avons vécu sans jamais nous poser la question de sa pérennité, est elle-aussi mortelle.