Accélérons la transition énergétique sur les territoires, pour l'emploi, l'innovation et la compétitivité

Par Nicolas Imbert, directeur exécutif de Green Cross en France.  |   |  1563  mots
Nicolas Imbert / DR
Nicolas Imbert, directeur exécutif en France de Green Cross (ONG fondée par Mikhaïl Gorbatchev en 1993), accompagnera Hélène Pelosse, vice-présidente d'Ecologie sans Frontières, dans le groupe de travail Stratégie Energétique de la conférence environnementale. Il montre dans cette tribune comment la transition énergétique peut favoriser l'innovation et l'emploi dans les territoires français.

La conférence environnementale lance le grand débat national sur la stratégie énergétique qui doit déboucher sur une proposition de loi d'orientation, dont François Hollande a fait un des éléments phares de sa campagne. Nous souhaitons que ce débat soit démocratique, territorialisé, intégrant l'ensemble des parties prenantes représentatives, et en particulier celles qui contribuent aux chaînes de valeur de l'efficacité énergétique et des énergies renouvelables.

Mais notre pays reste marqué par une approche technicienne des choix énergétiques et ne possède qu'une compréhension très récente, quasi-adolescente, du partage des rôles entre la puissance organisatrice, l'autorité de sûreté et les exploitants. Pour sortir de cette situation, rien de tel que d'incarner le débat, de montrer que la transition énergétique est non seulement une dynamique internationale en cours, mais également l'occasion de développer en France de nouveaux emplois, de belles opportunités d'innovation, et ce, sans laisser personne au bord du chemin.

Dans ce contexte, les projets éoliens offshore, dont la première tranche a été attribuée (en avril 2012) et pour laquelle un nouvel appel d'offres public devrait être annoncé en fin de semaine, sont une formidable opportunité pour faire émerger sur les territoires des filières économiques fortes et de véritables champions industriels de classe internationale. De la même manière qu'Airbus s'est développé autour d'un produit innovant et précurseur, l'A320, désormais fabriqué en grande série et devenu l'étendard d'une flotte diversifiée, il faut faire de ces appels d'offres des atouts pour l'emploi et l'innovation grâce à l'émergence de nouveaux champions internationaux et de réseaux de fournisseurs locaux.

Par exemple, le projet éolien offshore en Baie de Saint-Brieuc possède un excellent potentiel de création de valeur grâce à un tissu entrepreneurial fort en cours de structuration, une forte sensibilisation aux enjeux énergétiques et la capacité d'intégrer l'éolien offshore dans un projet territorial de transition écologique. Ce projet est riche également d'atouts dans les secteurs agro-alimentaires et touristiques et bénéficie d'une forte expérience de concertation territoriale, obtenue lors de la création de la filière pionnière de la coquille Saint-Jacques...On y pressent une réussite similaire au rayonnement de Toulouse, certes catalysé par l'aéronautique, mais qui repose désormais aussi sur la santé et l'agroalimentaire, et compte des emplois dans la recherche comme dans les métiers de service.

Une hausse des tarifs de l'électricité accélèrera la transition énergétique

Pour accélérer cette transition énergétique, il faut d'abord mettre en adéquation les prix et modalités tarifaires de l'énergie électrique avec les vrais coûts de la filière. La Cour des Comptes a montré en fin d'année dernière que le prix de l'électricité ne reflète que partiellement son coût, ce qui crée de la schizophrénie : le contribuable et les générations futures paient des coûts pour des services qu'ils n'utilisent pas, le consommateur vit à crédit, le citoyen n'est pas complètement conscient de l'impact de ses choix. Un renchérissement progressif, mais prédictible et programmé, des tarifs de l'électricité, accélèrera la transition. Accompagné de la mise en place forcenée de la tarification progressive, pour les particuliers, les entreprises et collectivités, il possèdera son propre bouclier social. Les sommes collectées doivent être exclusivement dédiées à un investissement massif dans les économies d'énergie et les renouvelables, en commençant par l'équipement des plus précaires.

Très naturellement, ce dispositif permettra l'émergence des énergies 4D : déconcentrées, diversifiées, décarbonées et démocratiques. Avec des dispositifs d'investissement participatif sur les territoires, et des incitations à l'installation des sources d'énergies à proximité même des lieux de consommation.

Quant aux énergies fossiles, que penser du signal envoyé par la baisse de la fiscalité sur le gazole ou l'essence pendant 3 mois, pour un coût de 300 millions d'euros, alors que celle sur le gazole, en baisse depuis des années en France, prive chaque année l'Etat d'une recette de 10 milliards d'euros, tout en générant, via les particules fines en ville, des taux absolument atypiques de maladies chroniques et de mortalité précoce ? Un rattrapage rapide de l'écart entre gazole et essence permettra tout d'abord de mieux financer ces externalités, tout en créant les conditions pour libérer l'innovation dans les mobilités douces et partagées et favoriser de nouvelles technologies de transport plus propres. Danemark, Grande-Bretagne, Japon....dans tous ces pays innovants dans les systèmes de transport, l'énergie fossile est chère et fortement fiscalisée.

Et si les réacteurs nucléaires français devenaient des modèles... en termes de démantèlement?

Quant au nucléaire, avec 59 réacteurs sur les 450 présents dans le monde, la France a une position particulièrement atypique dans le monde, mais aussi un marché intérieur particulièrement dense. C'est en utilisant Fessenheim comme démonstrateur des bonnes pratiques de démantèlement, en testant et modernisant un « manuel de démontage » qui n'a jamais été conduit à son terme en France, que nous pourrons faire des 59 réacteurs français une base d'expertise permettant l'émergence d'une filière forte de démantèlement des installations, dans laquelle Areva et le CEA seront vraisemblablement des acteurs de poids.

Mais ceci suppose dès maintenant de nouvelles garanties de contrôle impartial, transparent et démocratique sur la sureté et la sécurité de fonctionnement, ainsi que des exigences qui s'imposent à l'exploitant. Où en sommes-nous des travaux nécessaires demandés par l'ASN suite à la catastrophe de Fukushima ? Comment soulager nos voisins allemands, suisses, italiens, de l'inquiétude quant aux conséquences d'accident sur les centrales situées à moins de 100 km de leur frontière, et des tensions que notre addiction au nucléaire et au chauffage électrique leur fait subir ? Comment sortir de cette situation ubuesque où le nucléaire expose une énergie fatale dont personne n'a besoin au moment où elle est produite alors que la France doit importer massivement une électricité chère les jours de grand froid ou de forte chaleur ? Sans compter les immenses besoins en eau pour refroidir les centrales, et l'impact sur l'eutrophisation du milieu et les plages de fonctionnement possible, qui se réduisent avec le débit du fleuve.

Mettre en place un fonds « 1% nucléaire »

Ici aussi, la solution est dans la recherche et l'innovation. L'industrie nucléaire a englouti d'immenses budgets de recherche, sans anticiper les coûts et modes opératoires du démantèlement des centrales, et de la fin de vie des carburants. Le MOX, que plus aucun pays étranger ne souhaite désormais utiliser, devient un déchet ultime par absence de débouché : il est urgent de modéliser et d'optimiser les modalités de fin de vie des centrales et les filières combustibles. Mais aussi de mettre en place un fonds « 1 % nucléaire », prélevé sur tout chiffre d'affaires généré par la filière. Ce fonds serait géré de manière transparente par les élus et les associations, et dédié à l'innovation dans la sûreté des infrastructures, le démantèlement et la limitation de l'impact d'éventuelles catastrophes. En complément, nous demandons la mise en conformité de la filière nucléaire avec le droit commun en termes de responsabilité, et notamment l'obligation d'assurance à plus de 50 % auprès du secteur privé, ainsi que l'obligation pour le nucléaire d'investir ses provisions et sa trésorerie dans des secteurs d'activités étrangers à son activité, afin de dégonfler toute bulle spéculative.

Ces nouveaux outils juridiques et financiers permettront d'investir dans la mise en sûreté, dans une recherche et une innovation diversifiée avant que les accidents ne surviennent, et d'éviter des situations comme celle de l'Ukraine qui, outre le traumatisme généré par la catastrophe de Tchernobyl, voit 5 % de son budget annuel alloués à un soutien aux victimes, pour des actions qui restent largement insuffisantes.

Des énergies 4D liées aux territoires

Il en est de même pour les exploitations de gaz et huiles non conventionnels : renversons la charge de la preuve, rendons obligatoire une analyse d'impact multicritères (populations, foncier, eau, biodiversité) avec quantification bénéfice-risque contradictoire sur chacun de ces critères, imposons le provisionnement par tout apprenti exploitant d'une garantie égale aux revenus d'une année d'exploitation, avec suivi trimestriel et interruption immédiate en cas d'incertitude, valorisons l'eau et l'énergie nécessaires à l'exploitation de manière progressive ...Nous verrons alors la grande majorité des projets transitoires perdre de leur intérêt économique, au profit des énergies 4D sur les territoires.

C'est cette transition énergétique, reposant sur des services de l'énergie plus efficace et des énergies 4D (déconcentrées, diversifiées, décarbonées, démocratiques) sur les territoires, sur un « amortisseur énergétique » ne laissant personne autour du chemin, dont nous souhaitons pouvoir apercevoir et co-construire les contours lors du débat sur la stratégie énergétique de cette conférence environnementales des 14 et 15 septembre.