Vendez-nous des lasagnes en circuits courts !

Par Par Jean-Marc Brûlé, conseiller Régional d'Île-de-France  |   |  671  mots
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C'est l'histoire d'un fournisseur de viande surgelée qui acquiert sa marchandise auprès d'un trader chypriote, qui lui même sous-traite à un de ses confrères situé aux Pays-Bas... lequel se fournit auprès d'un abattoir et d'un atelier de découpe en Roumanie. La fin de l'histoire : on se retrouve à manger du cheval alors qu'on a commandé des lasagnes au bœuf. Cette tragicomédie est révélatrice du système totalement ubuesque qu'a mis en place l'industrie agro-alimentaire. Une tribune de Jean-Marc Brûlé, président de l'Atelier (centre de ressources régional de l'économie sociale et solidaire) et conseiller Régional d'Île-de-France.

Au-delà du scandale alimentaire qu'il met à jour, l'épisode des lasagnes au cheval est révélateur du système totalement ubuesque qu'a mis en place l'industrie agro-alimentaire. Un système reposant sur des intermédiaires trop nombreux qui dilue la responsabilité des uns et des autres, pousse la marchandisation des denrées alimentaires à l'extrême, le tout pour tirer les prix vers le bas et satisfaire les consommateurs que nous sommes. Avec les conséquences - et les coûts indirects - que l'on connaît sur l'environnement, l'emploi et la santé. Si nous voulons retrouver nos bonnes lasagnes au b?uf (sûrement pas surgelées celles-là...), il est temps de nous interroger sur nos modes de consommation et de tous nous responsabiliser : acteurs de l'industrie agro-alimentaire, pouvoirs publics et bien sûr consommateurs. Arrêtons d'aller chercher de la viande à l'autre bout de l'Europe - pour ne pas dire du monde. Achetons directement nos fruits et légumes aux producteurs de nos campagnes. Diminuons les distances et les intermédiaires entre le champ et l'assiette. Bref, mangeons mieux, mangeons local ! C'est possible, facile et pas cher, contrairement à ce qu'on peut penser. Et il ne s'agit pas de se triturer les méninges pour trouver des solutions nouvelles. Les réponses existent ! L'économie sociale et solidaire et ses entreprises (associations, coopératives, etc.) les proposent chaque jour aux consommateurs soucieux de renouer avec une alimentation saine et responsable.

Que leurs cantines scolaires proposent à nos enfants des fruits et légumes produits à quelques kilomètres des écoles !

On ne compte plus les Amap (Associations pour le maintien de l'agriculture paysanne). Elles permettent à plus de 200 000 consommateurs d'accéder chaque semaine à des fruits et légumes de saison près de chez eux et aident ainsi nos maraîchers à pérenniser leur activité. Et que dire des systèmes d'achat groupé comme « La Ruche qui dit oui » qui offrent la possibilité aux consommateurs de se réunir pour acheter directement aux producteurs de leur région ? Au menu des livraisons hebdomadaires : viande élevée localement, fromages affinés près de chez soi, pain pétri à quelques kilomètres du lieu de livraison et bien entendu fruits et légumes de saison. Citons également la solution innovante proposée par Marché sur l'eau. Cette association livre chaque semaine aux Parisiens des fruits et légumes récoltés en Seine-et-Marne par le canal de l'Ourcq. Les légumes de Marché sur l'eau sont portés par six bras seulement : ceux de l'agriculteur, ceux du livreur... et ceux du consommateur. Cela change des lasagnes au cheval !

Toutes ces initiatives de l'économie sociale et solidaire nous permettent de mieux manger et de savoir d'où viennent nos aliments. Leurs organisations collectives font baisser les prix. Les kilomètres et les emballages nécessaires pour livrer et conditionner les produits diminuent drastiquement. Bref, ces formules sont écologiquement saines, socialement équitables et économiquement viables ! Il nous faut les soutenir. Les acteurs de l'agro-alimentaire peuvent faire leur part en contractualisant avec des producteurs locaux. Certains se sont engagés dans de telles démarches mais ils peuvent passer à la vitesse supérieure et voir dans ces filières locales de véritables relais de croissance (et non pas seulement des opportunités publicitaires). Au temps où le Made in France a le vent en poupe, ils ne peuvent pas passer à côté de ce marché. Les collectivités territoriales ont aussi leur rôle à jouer. Que leurs cantines scolaires proposent à nos enfants des fruits et légumes produits à quelques kilomètres des écoles ! Les consommateurs que nous sommes doivent également affronter la réalité : manger sainement nécessite quelques efforts. Se nourrir n'est pas un acte neutre. Nous devons agir pour reprendre le pouvoir sur notre alimentation et notre consommation. Nous sommes la clé de la souveraineté alimentaire de notre pays. Nous seuls pouvons réhabiliter et exiger la lasagne au b?uf du Thiérache arrosée de sauce tomate venant des Potagers de Marcoussis.