Principe de précaution, un exemple d'effet pervers

Par Cécile Philippe  |   |  935  mots
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Cécile Philippe, économiste, est présidente de l'Institut économique Molinari.

Il n'y a encore pas si longtemps, je ne savais rien de cette substance chimique qu'on appelle le Bisphénol A. N'étant pas chimiste mais économiste, j'ignorais tout de ce composé pourtant utilisé dans un nombre incalculable de produits de la vie courante, en particulier dans les biberons en plastique que les mères donnent à leur nourrisson. Jeune maman, je n'ai pas pu passer à côté de la mention « sans BPA » sur les biberons et j'ai ainsi découvert un sujet aussi passionnant que préoccupant. Il illustre la tendance prononcée des dernières années à trancher dans le vif des innovations à coup de précautions pas très avisées qui pourraient bel et bien nous faire courir davantage de risques à terme.

Car ce que nous raconte le BPA, c'est une histoire longue de plus de 50 ans de recherche de substances capables non seulement de donner de la rigidité et de la solidité aux matières plastiques mais aussi de nous protéger d'intoxications alimentaires dues à l'Escherichia coli (E. Coli) ou à la toxine botulique. Certains se rappelleront qu'en 2011 plus d'une quarantaine de personnes avaient trouvé la mort en Europe des suites d'une intoxication alimentaire à l'E. Coli. L'épidémie avait commencé en Allemagne et causé plus de 3.000 cas d'intoxication.

Si ces événements restent heureusement fort rares, c'est qu'il existe toutes sortes de mesures et de produits pour assurer la sécurité sanitaire de la filière agro-alimentaire. Or, le BPA en est un élément important puisqu'il permet - depuis plusieurs décennies - de fabriquer des vernis qui isolent le contenu (nos cocas et autres tomates concassées) de leur contenant (cannettes et boîtes de conserve). Il évite plus précisément que ces produits, particulièrement acides, ne produisent une réaction chimique avec le métal des boîtes et n'entraînent la production d'éléments indésirables pour la santé. Voilà une information qui méritait d'être connue.

Et pourtant, elle n'a pas fait couler beaucoup d'encre par rapport aux quelques rares études publiées au cours des dernières années qui font mention d'une corrélation possible entre présence du BPA et diverses maladies comme le diabète de type 2, les problèmes cardio-vasculaires, certains cancers, etc.

Face à ces quelques études alarmistes se dresse un nombre très important d'autres études qui concluent inlassablement à l'innocuité du BPA - en l'état des connaissances actuelles et des conditions d'utilisation. Encore très récemment, deux nouvelles études montraient que le lien de cause à effet entre BPA et maladies était peu logique et que les expériences sur les rats qui permettent de fonder la croyance de ce lien, les exposent à des niveaux des milliers de fois plus élevés que ceux auxquels nous sommes nous-mêmes exposés.

C'est sans doute pour cette raison que les autorités sanitaires dans le monde entier continuent à en autoriser l'usage du fait de ses bénéfices et que les pouvoirs publics suivent ces recommandations partout, ... sauf en France. En effet, la France est le premier pays du monde à avoir décidé au début de l'année 2013 d'en interdire l'usage dans tous les contenants alimentaires destinés aux enfants et aux femmes enceintes. Puis, à partir de 2015, il le sera de tous les autres contenants alimentaires : cannettes, boîtes de conserves, couvercles, etc.

Il est vrai que la France est aussi le seul pays du monde à avoir inscrit le principe de précaution dans sa constitution, et une cause produisant logiquement son effet : les applications du principe sont de plus en plus nombreuses, y compris dans des cas comme celui-ci où il paraît pourtant évident que face au risque certain de possibles intoxications alimentaires mortelles, le risque incertain et seulement possible de maladies à long terme ne fait pas le poids.

Hé bien si! Car en matière de précaution, la rationalité des débats disparait face au chiffon rouge de la peur du risque et du scandale brandi par des groupes bien organisés et relayé par des pouvoirs publics incapables de lui résister.

Jacques Attali n'écrivait-il pas dans l'Express en 2007 que ce principe tel qu'il a été rédigé dans la constitution « conduira nécessairement les fonctionnaires, à qui on ne peut pas demander de connaître l'ensemble des recherches scientifiques, à faire obstacle, pour se protéger, à toute recherche ou toute innovation lorsqu'ils percevront le moindre risque. »

La publication de quelques études, qui ne peuvent pas constituer "La Science" en la matière et ne peuvent, à ce stade, balayer d'une main l'utilisation relativement sécurisée de cette substance pendant de longues années, a suffi pour faire pencher la balance vers l'application du principe. Son pendant est que nous allons maintenant devoir utiliser des substituts (BPS et autres substances) à propos desquelles des doutes émergent déjà et pour lesquelles nous n'avons pas le même recul.

L'histoire du BPA est donc riche d'enseignements : le risque zéro n'existe pas ; un produit présente toujours des avantages et des inconvénients et il y a un réel danger à ne voir que les risques de celui-ci car tous les autres produits en ont et pourraient donc être interdits.

Au final, on a perdu de vue que le problème à résoudre est notamment celui des intoxications alimentaires et que l'interdiction du BPA n'offrait aucune solution durable. Le principe de précaution se mord donc la queue et nous laisse impuissant face aux problèmes de la vie de tous les jours.

Voir l'étude sur le BPA de l'Institut économique Molinari