"La Bretagne n'est pas en crise, elle fait face à des mutations irréversibles"

Par Propos recueillis par Romain Renier  |   |  814  mots
Jacques de Certaines, ancien adjoint à la Recherche à la mairie de Rennes de 1983 à 1989 et co-auteur du livre "Secoue toi Bretagne !"
La Bretagne ne traverse pas une crise conjoncturelle mais subit des mutations irréversibles dans les secteurs qui faisaient dans le passé sa richesse, explique Jacques de Certaines, ancien adjoint à la Recherche à la mairie de Rennes et auteur de "Secoue toi Bretagne !"

Filière agroalimentaire qui bat de l'aile, licenciements dans les télécoms, dans l'industrie automobile, épuisement des ressources halieutiques... La Bretagne souffre et l'a fait savoir ces derniers jours.

Face à ce soulèvement inattendu, le gouvernement à lâché 15 millions d'euros à la filière alimentaire mercrediet a promis de se pencher au chevet de la péninsule. L'occasion pour La Tribune de revenir sur les raisons des difficultés traversées par cette région qui fait habituellement peu parler d'elle en ces termes, avec Jacques de Certaines, ancien adjoint à la Recherche à la mairie de Rennes de 1983 à 1989 et co-auteur du livre "Secoue toi Bretagne !", paru aux éditions Apogée en 2013.

La Tribune - Pourquoi ce mouvement soudain de colère en Bretagne ? Avez-vous été surpris ?

Jacques de Certaines - On pressentait que la Bretagne n'était pas sur la bonne voie. On n'avait simplement pas établi de calendrier ni prévu l'amplitude. Pour nous, ce n'est pas une crise mais le résultat de mutations irréversibles. Lorsqu'il y a une crise on peut s'attendre à ce que cela redémarre. Alors que lorsque l'on fait face à une mutation, il y a une nécessité de réformer en profondeur pour s'adapter aux nouveaux paradigmes. C'est n'est pas ce que l'on a fait en Bretagne, où on a cru qu'il suffisait de gérer la situation comme une crise.

D'où viennent les problèmes ? Pourquoi une telle ampleur ?

Le problème c'est que la Bretagne subit des mutations dans tous les secteurs qui faisaient autrefois sa richesse : l'agroalimentaire, bien sûr, mais aussi l'élevage qui est lié, la pêche, le naval, même si on y observe une petite bouffée d'oxygène, et l'automobile, comme on l'a vu avec les destructions de postes chez PSA, et les télécoms. Tous les fondamentaux de l'économie bretonne sont touchés.

Comment expliquez-vous cela ?

C'est la combinaison de plusieurs facteurs. Il y a d'abord un contexte international. Par exemple, on ne peut que constater la concurrence déloyale des Allemands dans la filière porcine avec leurs salaires très faibles qu'ils appliquent à leurs travailleurs étrangers. Mais il y a aussi la question des alliances et des synergies dans le secteur agroalimentaire qui n'a pas été réglée à temps et qui se fait aujourd'hui à marche forcée. Ou encore la difficulté que l'on a à passer de la pêche, qui souffre de la disparition des ressources halieutiques, à l'aquaculture.

L'absence de réaction vient-elle d'un manque d'autonomie de la Bretagne qui, comme certains le disent, souffre des lourdeurs administratives imposées par Paris ?

Il est vrai que les lourdeurs administratives n'aident pas. Ce n'est pas spécifique à la Bretagne, mais cela lui pose des problèmes concrets. On a l'exemple de la loi littoral, dont l'existence est bel et bien fondée, mais qui conduit à multiplier les interlocuteurs dans un mille feuilles qui rend les procédures très longues et retarde notre passage de la pêche à l'aquaculture. Mais je ne pense pas que cela soit le fond du problème. Ce qu'il faut, c'est aller de l'avant pour opérer les mutations nécessaires. Nous avons déjà pris beaucoup de retard en ce qui concerne les biotechnologies, les télécoms de pointe, les nanotechnologies, l'automobile haut de gamme. Ce qu'il nous faut c'est faire le pari des hautes technologies.

Et pensez-vous que la réaction du gouvernement, qui a mis mercredi 15 millions d'euros sur la table pour le secteur agroalimentaire, aille dans le bon sens ?

Quand il y a un incendie il faut éteindre le feu. C'est ce que fait le gouvernement et c'est bien. Mais nous espérons surtout qu'ils ne vont pas prendre le problème de la Bretagne comme une crise passagère en parant au plus pressé et sans réaliser que nous sommes face à de réelles mutations. Il y a des pistes intéressantes dans les 34 propositions d'Arnaud Montebourg pour relancer l'industrie, les thèmes qui concernent la Bretagne y sont abordés. Ce qui est dommage c'est que tout ce qui y arrive aujourd'hui était prévisible.

Que dire de l'écotaxe poids lourds, qui semble avoir mis le feu aux poudres ?

Compte tenu de l'importance des transports dans l'économie bretonne par rapport aux autres régions, l'écotaxe est un coup très dur. On ne peut pas traiter toutes les régions de manière indifférenciée. Bien sûr, il aurait fallu développer le ferroutage, le cabotage, mais force est de constater que cela n'a pas été fait, et que cela ne pourra pas être mis en place en trois mois. En attendant, cette taxe, nous allons la payer trois fois. Cela va augmenter nos frais d'approvisionnement, repousser les investisseurs et augmenter nos frais d'expédition. C'est une très mauvaise chose pour les entreprises bretonnes.