L'évaluation immobilière par Bercy : quelle véritable utilité ?

Par Christophe Serredszum  |   |  765  mots
Le logiciel d'évaluation immobilière mis en place cette semaine par Bercy peut être un outil utile. Mais il n'offre aucune garantie, face au fisc. Par Christophe Serredszum, vice président du Conseil National de l'Expertise Foncière Agricole et Forestière (CNEFAF)*

Par un communiqué en date du 20 août dernier, Bercy a annoncé la future mise à disposition des contribuables, d'un logiciel dénommé Patrim Usager leur permettant de « sécuriser l'évaluation de leurs biens dans le cadre d'une obligation déclarative à finalité fiscale (ISF, succession, donation..) ou d'un besoin lié à une procédure d'expropriation».

En apparence, l'intention est louable, permettre aux contribuables de lutter à armes égales avec l'administration fiscale. Toutefois, l'utilisation future de ce logiciel par les contribuables apparaît délicate et ce pour deux raisons principales. Tout d'abord, ne s'improvise pas expert en évaluation immobilière qui veut.

Un marché complexe

Le marché immobilier est un marché complexe. Pour pouvoir l'appréhender dans de bonnes conditions, il convient de disposer d'une formation technique, juridique et économique adéquate, de maitriser les différentes méthodes d'évaluation (par comparaison, par le revenu et autres) et de mettre en avant une solide expérience professionnelle, gage d'une connaissance approfondie du marché et de ses évolutions.

A titre d'exemple, pour pouvoir être inscrit sur les listes du Conseil National de l'Expertise Foncière Agricole et Forestière (CNEFAF), il convient de justifier de 3 années d'expérience professionnelle dans le domaine de l'expertise lorsque l'on est titulaire d'un diplôme de niveau bac+4 ou de sept années dans le cas contraire.

Faire preuve d'une parfaite indépendance

L'expert doit également faire preuve d'une parfaite indépendance vis-à-vis d'une part du bien à évaluer et d'autre part, de l'opération envisagée, pour éviter au maximum toute subjectivité dans l'évaluation. Bien entendu, cela ne peut pas être le cas du propriétaire. Ensuite, une évaluation digne de ce nom ne peut s'effectuer qu'après une visite détaillée du bien et de l'analyse approfondie de l'ensemble de ses caractéristiques matérielles, juridiques, règlementaires et autres. Il n'est pas de mon propos de dénigrer le logiciel Patrim et les informations qui pourront être recueillis par sa consultation. Toutefois, il m'apparaît clairement que les références fournies ne pourront pas être appréciées utilement et objectivement par le contribuable dans le cadre de son évaluation.

L'absence totale de garantie

La deuxième raison trouve son origine dans le texte introduisant le dispositif PATRIM USAGERS, la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011. L'article L107B du Livre des Procédures Fiscales qui en est issu, précise en son alinéa 6 que « La circonstance que le prix ou l'évaluation d'un bien immobilier ait été déterminé sur le fondement d'informations obtenues en application du présent article ne fait pas obstacle au droit de l'administration de rectifier ce prix ou cette évaluation (…) ».

Le logiciel est donc censé donner au contribuable des références lui permettant d'orienter des actes de toute première importance en matière fiscale, mais en fait, sans aucune garantie. Le contribuable, même s'il utilise Patrim en toute bonne foi, pourra être confronté à une procédure de redressement particulièrement douloureuse.

Cette absence de garantie m'apparaît d'ailleurs tout-à-fait logique et traduit sans ambiguïté, les limites de l'utilisation du logiciel, ce dont a parfaitement conscience l'administration fiscale.

Patrim peut servir à donner une vague idée

PATRIM est donc un logiciel pouvant au mieux donner au propriétaire, une vague idée de la valeur de son bien mais surtout l'exposer à de graves difficultés en cas de contestation de sa déclaration par l'administration fiscale. Prétendre que ce logiciel pourrait sécuriser l'évaluation des biens des contribuables relève de l'absence totale de connaissance de la complexité du marché immobilier.

 Une boîte à outils, mais après?

N'ayant aucune connaissance en mécanique, je ne suis pas sûr que l'achat d'une bonne boite à outils me permettrait de réparer en toute sécurité mon automobile défaillante. En toute logique, je vais continuer à faire confiance à mon garagiste habituel.

Il en est de même en matière d'évaluation immobilière. Il est bien plus raisonnable et sécurisé pour les contribuables de faire appel à des professionnels compétents, formés, assurés et indépendants que de faire confiance à un logiciel aussi sophistiqué soit-il, n'offrant aucune garantie.

 

 

*Le CNEFAF, Conseil National de l'Expertise Foncière, Agricole et Forestière, est une structure de type ordinale regroupant les professions réglementées, d'Experts Fonciers, Agricoles et d'Experts Forestiers. Ces professionnels au nombre de 650 sont soumis à des obligations de formations initiale et continue, d'expérience professionnelle, d'assurance en responsabilité civile de leurs activités et de code de déontologie.