Et si on commençait par changer notre rapport à l'argent ?

Par Philippe Bloch  |   |  1074  mots
L'affaire de la retraite chapeau de Philippe Varin le montre une fois de plus, les Français ont un rapport complexe à l'argent. L'émulation et l'ambition sont pourtant de formidables moteurs pour l'économie. Par Philippe Bloch, fondateur de Columbus Café

 Pas une semaine, pas un jour, pas une heure sans qu'un débat radio ou télévisé ne rassemble sociologues, politiques et autres experts autour d'un micro pour analyser le mal-être sournois qui ravage notre pays. Chacun y va de sa théorie, convaincu d'en connaître les causes et les remèdes et accusant le camp d'en face de n'y rien comprendre. Et pourtant, rien ne change, et le doute s'installe chaque jour davantage, minant le moral et fragilisant les esprits. Les mauvaises nouvelles vont-elles s'arrêter de pleuvoir un jour ? Y a-t-il encore un soleil à l'envers des nuages ? Pourquoi tout semble-t-il aller de travers ?

Une envie destructrice

C'est oublier notre responsabilité collective dans le pessimisme outrancier de nos concitoyens, au point où ils semblent ne plus se supporter les uns les autres. Chacun fait sa crise de nerfs dans son coin, se sent ignoré, détesté ou méprisé. La lutte des classes est de retour. L'envie destructrice et ses ravages sévissent à nouveau. Chaque catégorie sociale juge à nouveau l'autre responsable de tous ses malheurs, lui envie ce qu'elle croit être ses privilèges et dénonce la « faute à pas de chance » quand elle évoque sa situation personnelle. Éternelle échappatoire de ceux qui refusent toute responsabilité dans les situations dont ils disent souffrir…

L'enrichissement par le travail, toujours suspect

C'est ainsi que le Français applaudit son voisin lorsqu'il gagne à l'Euro Millions ou au tiercé, mais qu'il juge indécente la fortune acquise par un entrepreneur, car s'enrichir par son travail est toujours pour lui synonyme de l'avoir fait sur le dos des autres. Tout comme la rémunération délirante des footballeurs stars ne lui pose aucun problème existentiel, au motif probable que ces derniers lui font oublier ses problèmes ou le font rêver, assis devant son téléviseur. On peut chez nous devenir riche par hasard, mais le faire par son travail est forcément suspect. En révélant au monde l'incapacité de la France à retenir ses talents assommés d'impôts en tous genres, l'affaire du « minable Depardieu » nous a fait perdre des années d'effort pour séduire et attirer les meilleurs de la planète.

Le Français n'aime pas l'argent des autres

Nul ne peut affirmer bien sûr que le Français n'aime pas l'argent. Mais il est évident qu'il n'aime pas celui des autres. Et qu'à défaut d'accepter les règles permettant d'en gagner plus, il préfère honnir celui qui en gagne trop. Le détestable « Casse-toi, riche con » de Libé n'est jamais loin. Nous ne tolérons ici la richesse que si elle est acquise par héritage ou par chance. Soit une drôle de conception de l'effort et de la responsabilité. La multiplication des affaires récentes, au premier rang desquelles la fameuse affaire Cahuzac, a abouti à une dramatique équation : pauvreté = probité.

Vivons chichement pour être respectable. Impossible à un « riche » d'être vraiment patriote. La pathétique publication récente du patrimoine des ministres fut édifiante à cet égard. Mal gérer son épargne, voire n'en posséder aucune, et surtout ne jamais avoir investi un seul euro dans l'économie française furent alors une source de fierté collective pour les membres du gouvernement ! Sans doute ce grand déballage deviendra-t-il bientôt un marqueur de la présidence de François Hollande, les vrais héros de cette caricature ayant été les plus pauvres de ses ministres, chacun s'efforçant de minimiser tout ce qui pouvait l'être dans ce qu'il possédait.

La détestation de la richesse, un frein à la sortie de crise

Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas ici de transformer les Français en Américains vous annonçant fièrement leur salaire en même temps qu'ils se présentent à vous pour la première fois. Un excès aussi ridicule que ceux dont nous sommes coutumiers. Mais il faut rappeler que la détestation de la richesse et la honte de la réussite sont un frein considérable à la sortie de crise. Car contrairement aux discours dans l'air du temps, le succès profite généralement à tout le monde, et ce malgré les rares excès condamnables de certains. Aucune voiture de luxe n'est jamais rayée par une clé jalouse aux États-Unis, car celui qui n'en a pas les moyens préfère rêver à celle qu'il s'offrira un jour, plus belle encore, et met tout en œuvre pour y parvenir.

Un refuge dans le ressentiment

Rien de tel ici, où l'on préfère se convaincre que l'argent est forcément sale. Et plutôt que de se concentrer sur l'amélioration de sa propre situation par le travail, dépenser une énergie considérable à jalouser son voisin ou celui que l'on estime être son ennemi. Ne croyant plus en grand-chose, le Français se réfugie trop souvent dans le ressentiment, le déni ou l'inaction. Voire souvent dans les trois.

La voie du déclin

Tout cela ne mène nulle part. Ou plutôt si, au déclin, qui n'est pas pour autant une fatalité. Interrogés par le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès en janvier 2013, 51% des Français le jugeaient inéluctable. Ce qui laisse heureusement 49% d'entre eux qui pensent le contraire. Éternelle ligne de fracture d'un pays incapable de s'accorder sur l'essentiel. Il est temps d'admettre qu'émulation et ambition sont de formidables moteurs qui profitent à tout le monde. Que le Français doit changer son rapport à l'argent.

Changer de lunettes!

Que ceux qui partent aujourd'hui ne reviendront plus, si la réussite continue à être à ce point jalousée dans le pays qui les a si bien instruits et si bien formés. Qu'un peuple qui n'aime pas et ne respecte pas ses entrepreneurs n'a aucune chance de faire la course en tête. Qu'un pays qui préfère l'idéologie au pragmatisme finit toujours par payer le prix de ses excès. Que remplacer la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » par « Fiscalité, Envie, Assistance », comme le suggérait récemment Nicolas Baverez, serait une bien mauvaise direction à prendre. Il n'est pas trop tard pour changer de lunettes. Mais reconnaissons qu'il y a urgence à aller chez l'opticien !

 

Philippe Bloch est fondateur de Columbus Café et auteur de Ne me dites plus jamais bon courage !, www.philippebloch.com et www.plusjamais.fr