Travail dissimulé : les Urssaf usent et abusent de leur pouvoir

Par François Taquet  |   |  992  mots
François Taquet revient sur l'amende infligée par l'Urssaf du Morbihan aux propriétaires d'un bar dont les clients rapportaient leur verre au comptoir...
Les Urssaf ne plaisantent pas avec le travail dissimulé. Pour François Taquet, professeur de droit social, avocat et conseiller scientifique du groupement d'avocats GESICA, elles en font même beaucoup trop...

Il y a peu, la presse a rapporté que l'URSSAF du Morbihan réclamait 9000 euros pour "travail dissimulé" à un couple de bistrotiers de Locmiquélic dont la seule faute est que les clients rapportaient leur verre au bar après avoir consommé. Au-delà de l'aspect anecdotique de cette affaire, plusieurs questions se posent :

D'abord, ce redressement justifié par la notion de travail dissimulé, est il légalement fondé ? A première vue non.  Toutefois, le doute est permis, tant la notion de travail dissimulé est vaste en droit français !  Certes, on objectera que le procureur de la république a classé l'affaire sans suite. Mais comme l'a déclaré le directeur de l'organisme de recouvrement avec un certain cynisme mais néanmoins avec un argument juridique juste :

"Dans ce genre de cas, le parquet peut poursuivre au pénal ou classer sans suite. Cette seconde décision n'interdit pas à l'URSSAF  de continuer la procédure et de réclamer l'amende pour travail dissimulé. Ce que nous avons fait".


Un cas loin d'être isolé

En un mot, et dans toutes les hypothèses, l'URSSAF sort gagnante de la procédure. Soit le parquet poursuit, le cotisant est condamné et le travail dissimulé est caractérisé. Soit le parquet classe l'affaire sans suite estimant que l'infraction n'est pas caractérisée et cette option n'empêche pas l'organisme de recouvrement de poursuivre seul la procédure de recouvrement !

Ensuite, il est permis de se demander si ce cas cité par la presse est isolé ou non. Et là, force est de constater que ce cas est loin d'être unique ! Les syndicats patronaux ou les avocats praticiens du contrôle URSSAF n'auraient pas de mal à citer maints exemples d'entreprises qui se sont fait redresser pour des faits de "travail dissimulé" dont on a parfois beaucoup de mal à comprendre la raison : entraide familiale, travail bénévole entre amis, fiche de paie qui ne correspond pas avec exactitude à la durée du travail….

 

Mettre en garde contre une politique du chiffre inadaptée

Sans remonter trop loin dans le passé, on se souvient ainsi de l'association créatrice du festival "sauve qui peut le court métrage" de Clermont Ferrand qui s'était vue redresser de 173 000 € par l'URSSAF locale parce qu'elle participait aux frais de repas de bénévoles serviables sur une base forfaitaire de 13 €.

Depuis des lustres, nous ne cessons de dénoncer une législation taillée sur mesure pour les organismes de recouvrement et qui a banalisé le travail dissimulé (certains praticiens n'hésitent pas à dire qu'aujourd'hui, 80% des entreprises sont dans le travail dissimulé sans même le savoir), la course effrénée et zélée contre le travail au noir qui est souvent source de dérives et amène  les organismes de recouvrement à pratiquer des redressements pour le moins déplacés. Et dans le même temps, nous mettons en garde sur cette politique du chiffre, et sur ces bons résultats qui nous sont servis chaque année par les pouvoirs publics, sans explication aucune,  en matière de lutte contre le travail illégal.

 

Les étapes de contrôle ne servent à rien

Ensuite, il est permis de s'interroger sur le manque réel de dialogue lors des contrôles menés par  les URSSAF. Car, on peut se dire que si le dialogue et le bon sens avaient fonctionné, l'affaire en serait restée là ! En effet, avant d'aller devant les tribunaux, il y a des observations de l'organisme, une possibilité de réponse du cotisant, un passage devant la commission de recours amiable …

Et là, on a peine croire que la commission de recours amiable de l'URSSAF locale (première étape du contentieux), pourtant composée de professionnels, ait pu valider un tel redressement. Est-ce à dire que toutes ces étapes ne servent à rien ? La présente affaire incite à le penser. Là encore, nous nous ne cessons de dénoncer les pouvoirs exorbitants et scandaleux des inspecteurs du recouvrement, les procédures abusives et corrélativement, l'amoindrissement des droits des usagers.

 

Des partenaires sociaux qui jouent les figurants

Les procédures deviennent de plus en plus expéditives, seul comptant le souci du chiffre et de la rentabilité. Le dialogue avec les organismes de recouvrement n'est bien souvent qu'un simulacre et se trouve fréquemment réduit à la portion congrue, bien loin de la pratique du contrôle fiscal  (qui est pourtant loin d'être un modèle !). Le passage devant les commissions de recours amiables (qui n'ont d'amiable que le nom puisque le cotisant n'est pas même invité à se présenter) ne constitue qu'une pure parodie de contentieux, où souvent l'URSSAF se réunit avec elle-même, donnant aux partenaires sociaux un rôle de figurant !

Nombreux sont les exemples qui pourraient être cités et qui sont parfois dénoncés par les directeurs d'URSSAF eux-mêmes. Toujours est-il que cette affaire nous fournit l'éclatante démonstration que les garde fous permettant d'éviter les dérives des redressements ne fonctionnent pas.

 

L'administration doit aider, et non punir !

Sans doute faudrait il que les pouvoirs publics comprennent enfin que l'immense majorité des redressements URSSAF concerne des employeurs honnêtes, de bonne foi qui sont punis par excès de zèle d'organismes en quête de résultats ou pour n'avoir pas interprété correctement des textes incompréhensibles. Sans doute, faudrait il également  qu'ils aient le souci de  faire progresser le dialogue au lieu de nier la réalité et de laisser se développer l'incompréhension et le  mécontentement.

Dans les difficultés économiques que connaissent les entreprises aujourd'hui, c'est davantage une administration "aidante" que "punissante" dont elles ont besoin ! Si une telle prise de conscience existe, l'histoire du verre de Locmiquélic aura servi à quelque chose. Dans le cas contraire, l'histoire sera à ranger au rang des anecdotes.


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