Bréviaire du social-libéralisme

Par Ivan Best  |   |  842  mots
Gilbert Cette, co-auteur de "Changer de modèle", avec Philippe Aghion et Elie Cohen
Avec "Changer de modèle, de nouvelles idées pour une nouvelle croissance", Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen appellent à une véritable "révolution culturelle": les Français doivent apprendre à penser l'économie autrement, pour tenir compte de la réalité de la France insérée dans une économie mondialisée

Ils avaient conseillé François Hollande pendant sa campagne électorale, sur les sujets économiques. Depuis, ils estiment ne pas avoir été entendus : « Changer de modèle, de nouvelles idées pour une nouvelle croissance », qui vient de paraître*, est le fruit d'une déception, celle de trois économistes qui espéraient voir le président de la République élu en mai 2012 prendre les réformes à bras le corps, tout en prenant régulièrement conseil auprès du trio. Il n'en a rien été, et, comme souvent, les théoriciens utiles en phase de campagne électorale, ont laissé la place aux technocrates jugés plus utiles en période de gouvernement.

Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen en tirent un ouvrage dont l'idée force est que les Français, de la base à l'élite (pour une grande part) vivent encore sur un vieux logiciel, n'ont pas compris le changement d'ère, et restent donc attachés à des politiques publiques devenues inopérantes. D'où la très grande difficulté à engager des réformes visant à adapter la France aux nouvelles réalités économiques.

La fin du rattrapage

Beaucoup de Français sont restés scotchés au modèle de croissance ancien, qu'ils espèrent retrouver, celui d'une économie de rattrapage - du niveau de vie productivité américain, avant tout-, alors que ce modèle a cessé de fonctionner depuis les années 80. Il ne suffit plus aujourd'hui d'imiter ce qui se fait Outre Atlantique, il s'agit d'innover. A cet impératif, correspond bien sûr une autre vision de l'économie.

Exemple:  en matière de fiscalité, « la passion sociale reste vive contre le capital », ce qui explique pourquoi tout débat se termine par : « et si enfin on s'attaquait au capital ? ». Alors même que la France est sans doute le pays qui taxe déjà le plus ce capital…

Autre exemple : les Français préfèrent que la protection sociale soit financée par des charges patronales, qui nuisent à l'emploi, plutôt que par la TVA, car celle-ci « lointaine héritière de la gabelle est détestable car elle frappe de la même manière la consommation des riches et des pauvres, et de plus, elle peut freiner la consommation, moteur de notre croissance ! ».
Alors que la consommation n'est absolument pas à l'origine de la croissance, c'est  l'investissement qui en est à l'origine, affirment les auteurs.

Rompre avec le "keynésianisme primitif"

Plus généralement, il faut « rompre avec un keynésianisme primitif », avancent les auteurs. Par « keynésianisme primitif », ils entendent la pratique habituelle en France consistant à augmenter la dépense publique en période de basses eaux conjoncturelles, augmentation financée après coup par des hausses d'impôts sur les entreprises, qui amènent ensuite la création de niches fiscales destinées à aider les entreprises, notamment celles les plus dépendantes d'une main d'œuvre abondante.

« Cette doxa keynésienne, utile en son temps, n'est plus vraiment adaptée au contexte d'une économie mondialisée » soulignent Philippe Ahgion, Gilbert Cette et Elie Cohen. « Dans une économie de l'innovation », la politique économique doit « dépasser ce que nous considérons comme une interprétation simpliste de la pensée de Keynes » ajoutent-ils.

A l'opposé du « keynésianisme primitif » qui met en garde contre toute hausse d'impôt affaiblissant le revenu des ménages, nos trois économistes défendent l'idée d'une « dévaluation fiscale » : puisque la France, au sein de la zone euro, ne peut plus dévaluer sa monnaie pour gagner en compétitivité, il faut le faire via un choc de compétitivité, comprendre un transfert des charges des entreprises vers les ménages, qui accroîtrait les marges des entreprises, leur permettant d'investir et de redevenir compétitives.

Le CICE? Bien insuffisant

N'est-ce pas ce qu'a déjà fait François Hollande ? Le CICE consiste en un allègement des prélèvements sur les entreprises financé par une taxe sur la consommation d'énergie et surtout une hausse de la TVA. Mais les auteurs jugent ce transfert bien insuffisant. Il faudrait faire grimper la TVA, non pas de 19,6% à 20%, s'agissant du taux normal, comme l'a décidé François Hollande, mais à 25%, écrivent-ils.

Le social libéralisme version 2014

Cet exemple chiffré résume assez bien la tonalité du livre : il faut aller vit et fort dans la voie des réformes. Ce que fait François Hollande va dans la bonne direction, mais reste beaucoup trop timide.

Un livre abouti, véritable bréviaire du social-libéralisme version 2014. De quoi influer sur les décisions de l'exécutif ? C'est une autre histoire, tant le décalage apparaît grand entre les préconisations choc des théoriciens, et la pratique des hommes au pouvoir, aux prises avec la réalité.

 

* "Changer de modèle, de nouvelles idées pour une nouvelle croissance", par Philippe Aghion, professeur à Harvard, Gilbert Cette, professeur d'économie associé à l'université d'Aix Marseille, et Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS

Editions Odile Jacob, 22,90 euros