Pourquoi Hollande ne peut pas vraiment s'inspirer de Schröder

Par Ivan Best  |   |  974  mots
François Hollande "fait-il du Schröder"? Il s'en inspire beaucoup. A la différence que le chancelier allemand avait en mis en œuvre ses réformes en deux temps, commençant par les baisses d'impôts, puis coupant, plus tard, dans les dépenses. Un rythme favorisant le redémarrage de l'économie

Hollande ferait-il « du Schröder » ? La question souvent évoquée pendant la campagne électorale de 2012, et au début du quinquennat, n'est même plus posée, tant cela paraît évident. Entamée à l'automne 2012 avec le « pacte pour la compétitivité » inspiré par Louis Gallois et la création du CICE, la conversion de l'ex premier secrétaire du PS à la politique économique de l'offre est de plus en plus nette : c'est tout l'objet du pacte, dit de responsabilité, dont le principe a été annoncé le 14 janvier par le chef de l'Etat, et qui vient de déboucher sur l'annonce par Manuel Valls d'une série d'allègements fiscaux.

Entre baisse des impôts frappant les entreprises (et la rémunération du capital), destinées à doper leur compétitivité, et coupes dans les dépenses publiques, la politique actuelle serait presque la copie du conforme de celle l'ex chancelier, à la tête de l'exécutif allemand de 1998 à 2005.

Une politique en deux temps

Incontestablement, Gerhard Schröder a fait les deux, il a diminué les impôts des entreprises et taillé dans la dépense. Mais, ainsi que le souligne l'économiste Patrick Artus (Natixis), et contrairement à une idée reçue, il ne l'a pas fait concomitamment. Ce qui n'a rien d'indifférent, s'agissant de l'effet de cette politique sur l'économie.

Quand Schröder, voulant s'attaquer aux problèmes de compétitivité de son pays, L'Allemagne étant alors l'homme malade de l'Europe », décide d'un plan de réformes, il le met en œuvre en deux temps : d'abord les baisses d'impôts, pour conforter l'offre, et, dans un deuxième temps, une fois que ces allègements fiscaux ont produit leurs effets, les coupes dans les crédits publics.

Éviter de "casser" la reprise

L'intérêt d'un tel « timing » ? Il est évident. Il s'agit d'éviter que les coupes dans les dépenses annihilent la reprise de l'économie que favorisent les allègements d'impôts.

L'effet récessif des baisses de dépenses publiques est bien connu, même si les théoriciens de l'offre ont tendance à le nier, s'appuyant sur une présentation souvent tronquée d'expériences réussies (Suède, Canada…). Ces pays avaient baissé leurs dépenses, mais beaucoup moins qu'on ne le dit, et surtout, avaient accompagné cette politique d'une dévaluation massive de leur monnaie, favorisant une reprise de l'économie par l'export.

Voilà pourquoi le chancelier allemand a commencé par les baisses d'impôts. Bien avant la présentation de son « agenda 2010, le 14 mars 2003, devant le Bundestag, il réduit dès 2001 la taxation des bénéfices des entreprises, qui tombe, pour la partie fédérale, à 15%. Il engage ensuite l'allègement de l'impôt sur le revenu.  Plus de 20 milliards d'euros sont ainsi injectés dans l'économie.

Forte baisse des prélèvements obligatoires à partir de 2001

Du coup, le taux de prélèvements obligatoires baisse sensiblement. De 40,9% du PIB en 2001, il est ramené à 39,7% en 2004. En revanche, les dépenses publiques ne baissent pas. Au contraire. Elles représentent 47,5% du PIB en 2001, et grimpent jusqu'à 48,4% en 2003. Conséquence, mécanique : le déficit public s'accroît lourdement. Alors que les comptes des administrations allemandes dégagent un excédent en 2001 (+1,1%), ils passent franchement dans le rouge en 2001 (-3,1% du PIB).

Un déficit qui grimpe jusqu'à 4,1% en 2003. Gerhard Schröder et Jacques Chirac se mettent alors d'accord pour mettre en parenthèse le traité de Maastricht, qui fixe à 3% du PIB le plafond de déficit pour chaque Etat. Le retour à l'équilibre budgétaire est, théoriquement, programmé à court terme, mais la négociation européenne prévoit un codicille aux effets non négligeables : le retour à l'équilibre doit être très rapide, la France, notamment, va être contrainte à de sévères économies si...  la croissance économique atteint 3%... Autant dire jamais.

 Les coupes dans les dépenses commencent seulement en 2004

Pour autant, Schröder décide d'agir face à ce déficit. Il engage de véritables coupes dans les dépenses publiques. Mais celles-ci ne commenceront qu'en 2004, trois ans après les premiers allègements fiscaux. Les coupes sont en réalité plus importantes qu'en Suède ou au Canada. Le gouvernement s'attaque notamment aux dépenses sociales, taillant dans les allocations chômage et les retraites. Avec une croissance économique quasi nulle, il atteint ce tour de force de baisser de plus d'un point le poids des dépenses dans le PIB. Entre 2003 et 2004, elles tombent de 48,4% à 47,2%.

La croissance repart, les restrictions budgétaires ont un effet limité sur l'emploi

Si elles pèsent sur la demande intérieure, ces économies n'empêchent évidemment pas les entreprises, redevenues compétitives, d'exporter à tout va. La croissance peut donc repartir, et l'effet récessif des coupes dans les dépenses est donc évité, le chômage n'augmente pas. « C'est cette politique en deux temps qu'il faudrait conduire en France » juge Patrick Artus. Autrement dit, Hollande devrait vraiment faire du Schröder.

Les contraintes ne sont plus les mêmes...

 Ce serait possible. A un détail près: que François Hollande puisse s'affranchir de la discipline budgétaire, comme avaient pu le faire Schröder et Chirac avant lui. L'ancien patron du PS peut-il vraiment retarder les coupes dans les dépenses, les décaler d'un ou deux ans ? C'est ce que préconisent les économistes keynésiens, mais que la commission européenne risque d'avoir beaucoup de mal à accepter.

Déjà, l'idée de décaler encore la réduction du déficit public sous les 3% -au-delà de 2015, le « changement de rythme » dans le vocabulaire de Manuel Valls- passe mal à Bruxelles… Autant dire que l'annonce d'un adoucissement du plan d'économies provoquerait l'ire d'Olli Rehn, commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires.