"La baisse d'impôt annoncée par Valls est surtout électoraliste"

Par propos recueillis par Ivan Best  |   |  712  mots
Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation, Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
Pour l'économiste Henri Sterdyniak (OFCE), la non imposition de 1,8 million de ménages, annoncée par Manuel Valls relève du "bricolage".

-Que pensez vous de l'annonce de Manuel Valls, qui veut exonérer d'impôt sur le revenu 1,8 million de foyers fiscaux ?

 -C'est un peu électoraliste. Il s'agit d'un cadeau pas trop cher. Mais ce genre de décision ne règle en rien la question de la cohérence de notre système. On donne un coup de barre à gauche, un coup à droite, on cherche à corriger les effets négatifs de ce qui a été décidé un ou deux ans plus tôt…ça reste du bricolage…

 - Le plan Valls vous paraît-il équilibré ?

-Le gouvernement se plie à la volonté de Bruxelles et de l'Allemagne de voir la France pratiquer une dévaluation fiscale. D'une part, le plan est loin d'être équilibré financièrement. Entre les baisses d'impôts en faveur des entreprises et la réduction du déficit, il y a 90 milliards d'euros à financer. Or on ne voit que 50 milliards de baisse de dépenses et 10 milliards d'impôts en plus sur les ménages.

D'autre part, cette dévaluation fiscale est un pari. C'est celui de voir les entreprises vouloir investir car leurs marges s'améliorent. Mais on peut appréhender les choses différemment. On peut craindre que la baisse de revenu liée aux augmentations d'impôts sur les ménages (TVA, taxe carbone…), qui vont bien au-delà de la baisse annoncée ce vendredi, et surtout aux coupes dans les dépenses sociales, ne contribuent à affaiblir la demande. Le gel des prestations peut avoir un effet anxiogène sur les ménages beaucoup plus important qu'on ne le pense, a priori. D'où une baisse de la consommation -déjà constatée au premier trimestre-. Si la demande baisse, beaucoup d'entreprises seront tentées de reporter leurs investissements. Plus question, alors, de reprise… et de baisse du déficit public.

 -Regrettez vous la mise à plat de la fiscalité évoquée un temps par Jean-Marc Ayrault ?

-Cela dépend de ce qu'on entend par là. Si l'on évoque une grande réforme, qui, d'un coup, simplifierait tout, cela relève du mythe. Pour réformer il faut du temps, beaucoup de temps, il faut prendre le temps de la délibération collective.

 -Peut-on rendre le système plus redistributif, comme le réclamait encore le PS à la suite de Piketty ?

-Le système français est déjà l'un des plus redistributifs. C'est un mythe de penser qu'il est possible de taxer encore plus les riches, car ils le sont déjà plus que dans la plupart des pays industriels. Le capital est déjà fortement imposé, via la taxation des revenus de l'épargne, il n'y a plus grand-chose à « gratter » de ce côté-là. Et les cotisations sociales patronales (payées par les employeurs) sont déplafonnées, ce qui alourdit considérablement la charge des entreprises, par rapport aux autres pays, sur les hauts salaires.

 -Quels devraient être les axes d'une réforme fiscale, selon vous ?

- Il faut certainement plus de simplicité pour notre système, et plus de transparence. Comment justifier, par exemple, les différents taux de CSG (salariés ou retraités, imposables ou non) ? Une plus grande simplicité irait avec une transparence accrue, ce dont notre système a évidemment besoin.

 -Vous organisez ce mardi 20 mai une «conférence de consensus » sur la politique fiscale, qui réunit de nombreux experts. Quels sont les différentes options qui émergent ?

-Concernant la fiscalité des entreprises, le débat est entre ceux qui veulent baisser les cotisations et ceux qui préconisent un allègement de l'impôt sur les sociétés. S'agissant de la fiscalité écologique, autre thème abordé, la question principale est celle de la redistribution de cette imposition : faut-il la rendre, sous une autre forme, à ceux que l'on taxe, aider par exemple les particuliers qui ne peuvent se passer de leur voiture diesel, ou faut-il utiliser cette ressource pour baisser les cotisations sociales des entreprises, en faveur de l'emploi ?

Nous aborderons aussi la question de la fiscalité du patrimoine. D'un côté, les partisans de Piketty estiment qu'il faut l'imposer plus pour réduire les inégalités, de l'autre, les pro Aghion défendent au contraire une baisse, en faveur de l'investissement.