Les tartarins de la concurrence à l’assaut des pharmaciens

Par Marc Guyot  |   |  858  mots
La fin du monopole des pharmacies pour la vente des médicaments en libre-service est-il vraiment justifié ? Favoriser la concurrence, oui, mais pas au détriment du bien public... Par Marc Guyot, professeur à l'ESSEC

Dans un rapport destiné au Premier Ministre, l'Inspection Générale des Finances vient de cibler les marges jugées abusives des pharmaciens sur les médicaments dont la prescription est facultative, qu'ils soient remboursables, comme le Doliprane ou qu'ils ne le soient pas, comme le Nurofen.

Ces marges réalisées par les pharmaciens sur ces produits spécifiques sont d'une part jugées trop élevées et d'autre part, considérées comme trop variables d'une pharmacie à l'autre. La part de ces produits dans le chiffre d'affaire des pharmacies se situerait à 9% et la marge brute sur ces produits, selon une enquête de la DGCCRF, irait de  20% et 50% du prix TTC.

Monopole jugé illégitime

L'IGF estime que ces prix élevés, causés par l'exploitation de la rente du monopole octroyé par l'Etat à cette profession réglementée pèserait de façon indue sur le pouvoir d'achat des Français pratiquant l'automédication. En conséquence, ce monopole étant jugé illégitime sur les médicaments en vente libre, remboursables ou non, l'IGF préconise son démantèlement. Celui-ci se ferait par l'ouverture à la concurrence pour en faire baisser les prix via l'autorisation pour les grandes surfaces de vendre ce type de médicaments.

De fait une telle mise en concurrence aurait probablement pour effet de fortement baisser le prix de ces médicaments car il est probable que les grandes surfaces s'en serviraient comme produit d'appel, les vendraient à prix coûtant et s'empareraient ainsi d'une bonne partie de ce marché. Le fait qu'il n'y ait aucun doute sur l'efficacité de la concurrence pour baisser les prix ne suffit pas à rendre cette dernière souhaitable pour ce type de médicaments. En effet, la conséquence usuelle de la concurrence sur les biens marchands est certes une baisse des prix mais également une augmentation de la demande. Sachant qu'il n'y a pas de problème d'accès à ce type de médicaments, il est évident qu'en termes de Santé publique, il n'est absolument pas souhaitable de pousser à l'augmentation de la demande de médicaments et à l'intensification de l'automédication.  Par ailleurs, il n'est pas souhaitable non plus que l'intensification de la concurrence pousse les firmes pharmaceutiques et les grandes surfaces à un effort sur l'innovation en termes de packaging et de communication sur ce type de produits, sachant que c'est une conséquence standard de la concurrence.

Un calcul trompeur

Il est certain que la quasi suppression de leur marge sur l'équivalent de 10% de leur chiffre d'affaire  va avoir un impact négatif sur les pharmacies et donc sur le mode actuel de distribution des médicaments en France. Est-il raisonnable de prendre le risque de déstabiliser les pharmacies et la distribution de l'ensemble des médicaments contrôlés par le duo médecin-pharmacien pour favoriser l'automédication ?

Par ailleurs, le calcul même de ces marges est trompeur car il ne prend absolument pas en compte le coût du service d'accompagnement médical, service qui est par nature coûteux en termes de nombre d'heures de travail effectuées par des pharmaciens diplômés. Dans les grandes surfaces en revanche, le vendeur, qu'il soit pharmacien diplômé ou non, va être placé par son employeur dans un pur objectif de profitabilité puisque c'est le mode normal de fonctionnement des entreprises privées en concurrence.

Méconnaissance du bien public

Mettre en avant le gain de pouvoir d'achat au prix d'une prise de risque de santé non mesurée est une méconnaissance totale du Bien Public pour des motifs qui semblent populistes avant tout. Il est notoire que ce gouvernement n'est pas mené par « l'idéologie de la concurrence » comme le prouvent les diatribes d'Arnaud Montebourg sur les effets destructeurs de la concurrence sur le marché du téléphone mobile. Il est donc aberrant que le gouvernement prenne position contre la concurrence « à tout va » sur un bien marchand comme le mobile (où la concurrence a effectivement fait fortement baisser les prix et fortement augmenter la demande) et en faveur de la concurrence sur un bien non marchand comme les médicaments sans ordonnance.

En réalité, il est commode pour le gouvernement d'afficher un combat pour le pouvoir d'achat en faisant les poches d'une profession qui n'a aucun pouvoir politique ni de nuisance et une image d'aisance, comme il est en train de faire les poches des C.C.I. et des Chambres d'Agriculture alors même qu'il affiche profil bas devant les intermittents du spectacle, devant les marins de la SNCM et capitule devant les firmes pharmaceutiques comme Sanofi ou BMS pour la non substitution par ces mêmes pharmaciens de produits de marque comme le Doliprane ou le Dafalgan par du paracétamol générique.

La concurrence est le moyen le plus efficace de générer de l'efficacité, de l'innovation et de la baisse des prix par une entreprise se situant dans un objectif de profit. C'est donc une structure souhaitable uniquement pour les biens marchands mais non pour les biens comportant des externalités comme les médicaments et la Santé publique.