Les calculs hasardeux de l'empreinte écologique

Par Bjorn Lomborg  |   |  1226  mots
Les calculs selon lesquels la planète ne suffira bientôt plus, compte tenu de notre empreinte écologique, ne tiennent pas vraiment la route. par Bjorn Lomborg, directeur du Copenhagen Consensus Center

Nous entendons souvent parler de l'exploitation abusive des ressources mondiales par l'humanité et de notre tendance à vivre au-delà des moyens de la planète. Le Fond Mondial pour la Nature (WWF) a récemment lancé une campagne publicitaire affirmant que nos modes de vie actuels impliquent l'utilisation de 18,2 milliards d'hectares de surfaces biologiquement productives alors que nous ne disposons seulement que de 12 milliards d'hectares. Depuis plus d'une décennie, le WWF et d'autres organismes œuvrant pour la conservation de la planète ont effectué des calculs complexes afin de déterminer notre "empreinte écologique" globale sur la planète.

Les ressources mondiales épuisées?

Selon leurs estimations, la croissance démographique actuelle et des niveaux de vie plus élevés impliquent l'utilisation des capacités d'une planète et demi, et épuisent les ressources mondiales si rapidement qu'il nous faudra l'équivalent de deux planètes pour subvenir à nos besoins d'ici 2030. Toujours selon ces estimations, si le niveau de vie de toute la population mondiale atteint celui des américains, nous aurons quasiment besoin de cinq planètes. Le message est clair - selon le WWF, "nous nous trouvons actuellement face à une menace d'un resserrement du crédit écologique", qui risque de provoquer "un effondrement à grande échelle des écosystèmes."

Des craintes injustifiées

Ces craintes sont pour la plupart injustifiées. L'évaluation de l'empreinte écologique consiste à tenter d'évaluer les surfaces biologiquement productives nécessaires pour répondre à l'ensemble de nos besoins et à les comparer aux superficies disponibles. Dans le fond, cet exercice s'avère utile, mais comme toutes les évaluations impliquant le recoupement de plusieurs aspects du comportement de l'humanité, il aura tendance à simplifier ses intrants.
Certaines de ces simplifications sont valables. Il est clair que les infrastructures routières, le développement de l'habitat et la production alimentaire mobilisent des surfaces non-négligeables sur la planète.

Infrastructures routières et surfaces habitées n'occupent que 3,6% de la superficie de la terre

Cette dimension s'avère être une mesure appropriée si l'on se réfère au sens littéral de l'empreinte écologique. Néanmoins selon les dernières estimations, les infrastructures routières et les surfaces habitées n'occupent que 3.6% de la superficie de la Terre. Et la production alimentaire n'utilise qu'un tiers des surfaces productives de la planète. Un chiffre qui n'augmentera probablement pas beaucoup et pourrait même diminuer dans le temps, du fait de l'accroissement des rendements induits par l'amélioration des technologies.
Les simplifications concernant les surfaces utilisées pour la production forestière et les pâturages sont moins évidentes.

La production de bois et de papier mobilisent 16% de la superficie de la planète - ce qui est en-dessous de la moitié des surfaces occupées par les forêts existantes. Et quand bien même ces 16% seraient utilisés à d'autres fins, il faut reconnaître que les arbres plantés dans les exploitations forestières constituent de vraies forêts qui font partie des splendeurs de notre planète. Dans un tout autre registre, le même problème se pose avec les surfaces de pâturage qui sont estimées à 12% de la superficie de la Terre.

Une seule planète clairement suffisante

L'évaluation des zones de pêche est encore moins cohérente, dans la mesure où elles ont été intégrées dans les surfaces terrestres lors des tentatives d'évaluation des superficies requises pour subvenir durablement aux prises de poissons d'un pays. Pour autant, le total des surfaces mobilisées par la pêche s'élève modestement à 6% de la superficie de la planète.
Au final, le compte de toutes ces surfaces mobilisées, un tant soit peu problématiques, totalise 70% des surfaces biologiquement productives de la planète. De fait, il semble qu'il y ait un petit problème dans ces estimations puisque, apparemment, une seule planète est clairement suffisante.

Planter des arbres partout pour absorber le CO2?

Toujours selon ces évaluations, ce sont les émissions de CO₂ qui font que notre empreinte écologique dépasse largement les superficies disponibles. Il est clair que convertir les émissions de CO₂ en superficie terrestre n'est pas évident. L'empreinte écologique détermine les surfaces mobilisées par ces émissions à la base des surfaces forestières nécessaires pour absorber le surplus de CO2. Ce facteur occuperait à lui seul 81% de la superficie de la planète et constitue la seule raison pour laquelle nous aurions soudainement besoin de plus d'une planète.
On nous dit en substance que nous devons réduire à zéro les émissions de carbone et planter des arbres pour réaliser cela, ce qui signifie qu'aujourd'hui, nous devons reboiser 81% de la superficie de la planète. C'est la raison pour laquelle ces estimations avancent que nous sommes à court de planète, puisque nous utilisons déjà 70% des surfaces disponibles. Ce message manque clairement de bon sens.

La reforestation n'est pas le système le plus efficace

Non seulement il n'est pas certain que nous devons absolument réduire à zéro les émissions de CO₂ (bien que nous devons les réduire significativement sur le long terme). Mais plus important encore, l'option de la reforestation pour absorber le surplus de CO₂ est certainement l'alternative la moins efficiente pour réduire le taux de CO₂. Selon l'évaluation standard, pour chaque tonne de CO₂ émis chaque année, nous devons reboiser une surface de 2000 m2 pour l'absorber. Par contre, si nous optons pour les éoliennes et les panneaux solaires, il nous faudra seulement 30 m2 de forêts, voire moins, pour éliminer une tonne de CO₂ émis. Mieux encore, leurs installations ne nécessitent pas forcément la mobilisation de surfaces biologiquement productives, puisque les panneaux solaires peuvent être installés sur les toits ou dans un désert, et les éoliennes, au large des océans. Du coup, les 81% descendraient brusquement à moins de 1% - voire à 0%

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Ce talon d'Achille de l'empreinte écologique a été soulevé depuis plusieurs années dans la littérature académique. En 2002, l'un de ses plus fervents défenseurs affirmait déjà que : "la théorie qui consiste à assimiler l'empreinte écologique des émissions de CO₂ à la superficie terrestre requise pour absorber le carbone émis, est considéré par la plupart des promoteurs d'une empreinte écologique durable - dont nous-mêmes - comme difficile à défendre." L'article académique "Why the ecological footprint is bad economics and bad environmental science" a été publié dans ce contexte, et selon une critique récente, "les mesures de l'empreinte écologique, telles qu'elles sont établies et présentées actuellement, sont tellement erronées qu'elles ne peuvent être utilisées dans un contexte scientifique ou politique sérieux."
Il est clair que nous utilisons moins de la superficie d'une planète, et si l'on considère que les technologies de l'agriculture et des énergies renouvelables vont s'améliorer dans le futur, cette utilisation va probablement diminuer. Au lieu de paniquer sur des prophéties d'empreintes écologiques non viables, nous ferons mieux de nous focaliser sur les questions de fond : sortir des millions d'individus de la pauvreté et dans le même temps, investir dans des innovations qui élimineront les risques futurs de pollution et amélioreront la productivité de nos terres. De cette manière, nous nous assurerons qu'une seule planète nous suffise durablement.


Traduit par Ninah Rahobisoa