Complémentaires santé : non à la regression sociale, au mépris des principes européens

Par Jacques Barthélémy  |   |  801  mots
Le conseil constitutionnel a décidé l'interdiction des clauses de désignation, par lesquelles les partenaires sociaux peuvent désigner pour une branche un seul opérateur d'assurance. Il s'agit là d'une atteinte au droit européen. Par Jacques Barthélémy, avocat conseil en droit social, ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier Fondateur en 1965 du Cabinet éponyme

J'entends  apporter la contradiction au texte  publié dans vos colonnes sous la signature de Jean Charles Simon.
D'abord,  Celui-ci critique l'UPA au motif que cette organisation privilégie des intérêts de
boutiques sur les avantages de la libre concurrence. Pour la cour de justice de l'union européenne, un régime professionnel de prévoyance mettant en oeuvre un degré élevé de solidarité ne matérialise pas une position dominante abusive car à défaut de pouvoir recueillir les cotisations de toutes les entreprises de la branche, la mission d'intérêt économique général qui en résulte ne peut être assumée.
Et pour la même CJUE, un accord de branche n'est jamais une entente prohibée entre
entreprises en raison de sa nature -un accord entre partenaires sociaux- et de son objet, à savoir l'amélioration des conditions de travail. La critique au nom de la libre concurrence des clauses de désignation est donc sans aucun fondement. Au demeurant, la Cour de Cassation en admet la validité depuis des décennies (une dizaine d'arrêts depuis 2012, y compris celui du... 4 juin 2014 !).

Le droit fondamental de de la négociation collective remis en cause

Ensuite,  Le conseil constitutionnel s'est positionné sur un autre terrain, celui de l'atteinte à la
liberté contractuelle de l'employeur (mais pas de celle du salarié dont on n'a cure auquel
on impose pourtant de passer par l'assureur choisi par son patron !).
C'est l'article L912.1 du code de la sécurité sociale qui a été déclaré inconstitutionnel. Cet
article ne traite que de mutualisation, qui n'est qu'un moyen. L'objectif de solidarité
éventuellement poursuivi par les partenaires sociaux - qui se traduit par des droits non
contributifs ne pouvant être effectifs par la seule mise en oeuvre de la technique
assurantielle - confère un but légitime à cette atteinte, de ce fait proportionnée.
Si, parce qu'on ne peut - en l'absence de clause de désignation - créer un pot commun
sur lequel seront prélevés des droits non contributifs, les partenaires sociaux ne pourront
poursuivre un objectif de solidarité ; dès lors, on porte atteinte au droit fondamental de
négociation collective, issu de la charte sociale européenne de 1961 révisée en 1995
relayée par la charte des droits sociaux de 1989 et celle des droits fondamentaux de
2000, toutes les deux de l'Union Européenne.

C'est en raison de cette atteinte à ce droit fondamental que nombre d'organisations syndicales de salariés et d'employeurs entendent saisir les juridictions supranationales et non parce qu'elles tirent des profits financiers de ces constructions. Le jugement à l'emporte-pièce contre l'UPA méprise le fait qu'une telle organisation agit pour la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres, donc de l'artisanat tout entier.

L'objectif de protection sociale justifie la désignation d'un opérateur unique

Enfin, les partenaires sociaux peuvent limiter leur ambition à seulement fixer la nature et le
niveau des prestations donc un élément de rémunération différée, auquel cas les clauses
de désignation ont toujours été illicites.
Mais ils peuvent aussi poursuivre en plus un objectif de solidarité ce qui se traduit par
des droits non contributifs liés à une politique de prévention, à une action sociale, à la
solidarité en faveur de telle ou telle population. On est alors en présence d'un régime de
protection sociale et c'est cela qui justifie, parce qu'on est sur le terrain de la sécurité
sociale professionnelle, la désignation d'un opérateur unique qui assume, par délégation
des partenaires sociaux, une mission d'intérêt économique général (cf. à ce sujet les
arrêts de la cour de justice de l'Union européenne).

Par la disparition des clauses de désignation, on organise, au mépris d'exigences de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, une régression sociale. Par exemple, comment prendre en compte, au nom de la mobilité, une ancienneté dans la profession et pas seulement dans l'entreprise pour les indemnités de fin de carrière si on ne mutualise pas les contributions ?
Qu'un assureur défende le libre choix systématique de l'organisme; on peut le comprendre
puisqu'il vend des produits. Mais qu'on ne le justifie pas par l'intérêt général car la
protection sociale implique que les signataires de la convention collective puissent créer
un régime fondé sur la solidarité.
En outre, l'argument de la libre concurrence est fallacieux. D'une part, s'agissant des TPE
(donc des entreprises artisanales, ce qui justifie l'action de l'UPA) un régime
professionnel coûte moins cher et surtout évite le refus d'assurance pour situation de
sinistralité aggravée de la TPE ; d'autre part la principale raison d'un tarif moindre dans
une plus grande entreprise vient d'une situation favorable au plan de la sinistralité ... ce
qui conduit, lorsqu'elle se dégrade, l'entreprise à vouloir rejoindre l'organisme désigné !