Jean Tirole, un prix Nobel pour un Français d'exception

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  721  mots
Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs d'économie à l'ESSEC

Un quart de siècle après l'attribution d'un premier prix Nobel d'économie à Maurice Allais, un second économiste français obtient cet honneur, et porte les couleurs de la France au sommet de la hiérarchie mondiale des chercheurs en économie.
Des nombreux articles ont présenté le travail, remarquable en tout point, du professeur Tirole, y compris dans les pages de ce journal où ce prix a été présenté comme la victoire de la micro-économie sur la macro-économie, ce qui est en partie vrai. Depuis le milieu des années 1990, le prix Nobel a été octroyé notamment à des chercheurs en théorie des jeux, économétrie ou micro-économie. On pourrait aussi parler d'une certaine victoire de la théorie sur l'empirique, puisque la plupart des prix Nobel sont décernés pour des avancées théoriques.

Des avancées théoriques importantes appliquées aux télécoms, cartes de crédits...

En effet, le professeur Tirole et ses collègues de l'Ecole d'Economie de Toulouse, créée par le regretté Jean-Jacques Laffont, ont révolutionné l'analyse en économie industrielle et en économie de la régulation, en intégrant notamment l'asymétrie d'information et avec un traitement très rigoureux des interactions stratégiques entre agents économiques. Jean Tirole a appliqué ses avancées théoriques importantes à l'étude de secteurs comme les télécommunications, les cartes de crédits et à la régulation de la liquidité bancaire.
Le nombre de citations du professeur Tirole répertoriés à ce jour par Google Scholar est de plus de 80.000 dont 12.500 pour seul son ouvrage d'économie industrielle publié en 1988. Selon l'indicateur h-index (très utilisé pour évaluer l'impact d'un chercheur sur sa discipline), plus de 115 de ses articles sont cités plus de 115 fois. Rares sont les chercheurs français en économie qui totalisent 100 articles de qualité tout au long de leur carrière.

Une méthode sans idéologie

Si tout le monde se réjouit de cette consécration de l'école d'économie française, certains journalistes ont signalé que cette recherche théorique n'est pas à la portée de tous. De fait, il ne s'agit pas de vulgarisation mais de recherche pour la compréhension de laquelle une bonne connaissance des faits économiques mais aussi des concepts économiques et des mathématiques sont requises. La recherche n'est pas censée être comprise de tous, elle doit nourrir les applications au service de tous. C'est le travail des pédagogues de savoir la vulgariser.
Une partie de la presse a présenté le Professeur Tirole comme un défenseur du libéralisme économique en en lui faisant grief. Il est bon de préciser que ce chercheur, d'une grande qualité morale, a comme principale préoccupation l'amélioration du fonctionnement des firmes, des marchés et de l'économie. Sa méthode de travail est basée sur l'analyse rigoureuse des faits et la formulation des modèles à même d'éclairer les mécanismes les moins évidents, en cherchant la cohérence interne des explications. Cette méthode n'a pas d'idéologie. Elle a tout simplement une grande valeur sociale.

Écouter plus les avis des chercheurs de pointe

Jean Tirole est un économiste citoyen, profondément concerné par l'amélioration du bien-être social en France. Le pays traversant une des plus graves crises économiques depuis le second choc pétrolier, il a choisi de consacrer une partie de son temps à l'analyse des faiblesses de l'économie française et notamment le fonctionnement du marché du travail. Il est regrettable que les avis du Professeur Tirole, de même que ceux d'autres chercheurs français incontestables comme Olivier Blanchard, Philippe Aghion, Pierre-André Chiappori, ou Roland Benabou passent plutôt inaperçus dans les media et dans la sphère politique. A la télévision et dans la presse, on entend plutôt des opinions battues et rebattues sur le soutien à la croissance, venant de conjoncturistes ou d'experts plus ou moins improvisés. Ces collègues peuvent certes avoir une très bonne connaissance des faits et leur propre vision de la société, mais il serait bon pour tout le monde que le petit nombre de chercheurs en économie de niveau international bénéficie d'une plus grande écoute.