Le vrai coût de la dette grecque

Par André Grjebine  |   |  1074  mots
Une annulation de la dette grecque serait beaucoup moins coûteuse pour la France qu'envisagé par nombre de commentateurs. par André Grjebine, directeur de recherche à Sciences Po, Centre d'Etudes et de Recherches Internationales

La Grèce est incontestablement le mauvais élève de la zone euro, affligé d'un Etat inefficace et corrompu et d'une économie en perdition. La priorité doit donc être d'aider la Grèce à restaurer - ou plutôt à instaurer - un véritable Etat. Faute de quoi, l'aide accordée se perd dans les circuits administratifs, à moins qu'elle ne soit détournée par la corruption. La politique d'austérité imposée par la troïka n'a pas répondu à cette exigence. Elle n'a fait qu'appauvrir les pauvres et la classe moyenne (les dépenses de santé et d'éducation ont ainsi été réduites) sans s'attaquer à la corruption et en renforçant la désorganisation généralisée du pays. De surcroît, elle a rendu plus problématique encore le remboursement des dettes. A endettement public constant, la baisse du PIB accroit, en effet, automatiquement le rapport dette/PIB. Il est curieux d'obliger un pays se trouvant dans un tel état de décrépitude d'avoir un large excédent budgétaire primaire (hors paiement de la dette).

Les opinions publiques seraient opposées à des efforts en faveur de la Grèce

L'objection généralement opposée à un relâchement de l'austérité est qu'après les mesures déjà prises en 2012, les opinions publiques européennes ne sont pas disposées à faire de nouveaux efforts en faveur de la Grèce.
Tout d'abord, le gouvernement grec ne demande pas aujourd'hui une annulation de la dette, mais d'une part de transformer les emprunts auprès de la BCE en emprunts perpétuels. L'État grec continuerait à payer des intérêts, mais n'aurait plus à rembourser le capital. D'autre part, les prêts accordés par l'Union Européenne seraient indexés sur la croissance c'est-à-dire que les paiements seraient réduits quand la croissance est faible et augmentés quand elle est forte. Dans cet esprit, on pourrait également imaginer que les prêts ne soient remboursables qu'à partir d'un certain niveau de croissance, celui à partir duquel celle-ci deviendrait créatrice d'emplois.

Dans l'hypothèse d'un défaut de paiement de l'État grec...

Mais, supposons même une annulation partielle de la dette grecque, voire un défaut de paiement de l'État grec. Cela signifiera-t-il que chaque Français devra débourser 700 ou 800 euros d'impôts supplémentaires comme on l'entend dire ici ou là ? A cela, Matthieu Pigasse, directeur général de la banque Lazard en France, missionné pour conseiller le gouvernement grec, répond que l'impact d'une telle mesure serait « quasi nul » (cf l'article paru dans La Tribune "une annulation de la dette grecque n'aurait pas d'effet sur les impôts en France". Les prêts bilatéraux accordés par les États membres (52,9 milliards) à la Grèce ont été financés par des emprunts du Trésor public de chacun d'eux.

En France et il en est de même ailleurs, quand des emprunts contractés par l'État viennent à échéance, l'Agence France Trésor emprunte de nouveau sur le marché pour les rembourser. L'État étant assuré de la pérennité, ce processus n'a pas de limite temporelle, un emprunt prenant le relais d'un autre. Les contribuables ne voient donc jamais leurs impôts augmenter pour ce motif. Il en serait de même dans le cas envisagé. Seule la perte de recettes résultant de la cessation des intérêts versés par l'État grec pèsera sur notre solde budgétaire. Il faudra compter à la longue sur l'inflation pour effacer cette charge supplémentaire.

La BCE pourrait couvrir ses pertes

En ce qui concerne, les créances détenues sur la Grèce par la BCE et l'Eurosystème (27 milliards), la BCE, seule émettrice de la monnaie ayant cours légal, pourrait couvrir elle-même ses pertes. En supposant que, pour des raisons juridiques, elle demande aux banques centrales nationales (BCN) de la refinancer, celles-ci se retourneront vers leur Trésor public qui émettra, pour ce faire, des titres publics. En fin de compte, ceux-ci pourront être rachetés sur le marché secondaire par la BCE. On en reviendra donc au cas envisagé précédemment. Il en sera de même pour le Fonds européen de stabilité financière (141,8 milliards) auxquels les règles de la zone euro interdisent de se refinancer directement auprès de la BCE.

Une annulation moins coûteuse qu'annoncé

Les deux positions extrêmes évoquées ci-dessus -un coût de plus de 700 euros par français ou un impact quasi nul -  paraissent exagérées dans un sens ou dans l'autre. Les 42 milliards (prêt bilatéral, part de la France dans les prêts accordés par l'Eurozone) que la France ne va pas récupérer auraient pu être dépensés d'une autre manière ou se solder par une réduction de notre déficit budgétaire. Mais, l'évolution structurelle de notre solde budgétaire ne serait pas modifiée. Le rebond exceptionnel du déficit budgétaire ne devrait donc pas être comptabilisé par les autorités de Bruxelles dans leur calcul du ratio dette/PIB. En revanche, la diminution de notre endettement public, qui se serait produite dans l'hypothèse d'un remboursement de la dette grecque, n'aura pas lieu. Sans être négligeable, une annulation partielle (ou totale) de la dette grecque serait donc moins coûteuse pour les contribuables que les chiffres alarmistes généralement avancés.

En cas d'échec ce Syriza, le risque d'une coalition d'extrême droite

En revanche, un échec du gouvernement Syriza - quasi certain si les européens ne lui viennent pas en aide - risque d'amener au pouvoir une coalition anti-européenne d'extrême-droite formée du parti néo-nazi Aube Dorée et du parti populiste, Grecs indépendants, ce dernier participant déjà au gouvernement actuel. Une sortie de la Grèce de la zone euro et sans doute de l'Union Européenne susciterait le doute sur la stabilité de la zone euro, mais surtout elle montrerait qu'il s'agit d'une option réellement envisageable, au risque d'encourager d'autres Etats à suivre cet exemple. L'Union Européenne doit donc tout faire pour éviter de courir ces risques.

André Grjebine, Directeur de recherche à Sciences Po, Centre d'Etudes et de Recherches Internationales. Récemment publié : « la dette publique et comment s'en débarrasser » (PUF, 15/1/2015)