Non, on ne doit pas gérer les Etats comme des ménages

Par André Grjebine  |   |  456  mots
Les responsables politiques font souvent l'analogie entre la gestion d'un État et celle d'un ménage. Pourtant, la comparaison trouve très vite ses limites. par André Grjebine, directeur de recherche au Centre d'études relations internationales (Ceri)*

La transposition de la gestion d'un portefeuille privé à la sphère publique est trompeuse, aussi bien au niveau des objectifs assignés aux États qu'aux moyens dont ils disposent. Un ménage dont les revenus diminuent doit effectivement, « en bonne gestion », réduire ses dépenses. Encore pourrait-on objecter qu'une stratégie plus audacieuse devrait l'amener à investir pour augmenter ses revenus à terme. Cela est particulièrement vrai pour une entreprise. Celle qui réduit drastiquement ses investissements parce que ses ventes ont fléchi est pour le moins sur une mauvaise pente. L'effet de levier joue également pour un État...à condition que l'endettement serve à financer des dépenses d'investissement et non de fonctionnement.

Soutenir la demande

En même temps, il lui incombe de soutenir la demande quand celle-ci est déprimée et d'éviter ainsi une diminution plus ou moins forte de la croissance (le multiplicateur d'investissement est en particulier fonction de la part des importations dans la demande). S'il n'y parvient pas, une réduction des recettes publiques liées à la production risque de rendre plus problématique le remboursement des dettes publiques.

 Une marge de manœuvre sur les revenus futurs

Pour satisfaire cet objectif, les moyens de l'État sont, eux aussi, différents de ceux des autres agents économiques. D'abord, dans la mesure où sa durée de vie n'est pas limitée, comme celle d'un particulier ou même d'une entreprise, il peut toujours contracter de nouveaux emprunts pour rembourser ses dettes...sous réserve que la progression de celles-ci ne dépasse pas celle de l'économie, ce qui revient à dire que le taux auquel il emprunte ne doit pas être durablement supérieur à la croissance de ses revenus nominaux.

De plus, dans certaines limites, l'État a une marge de manœuvre sur ses revenus futurs, dans la mesure où il détermine les impôts auxquels ménages et entreprises sont assujettis. Enfin, une banque centrale peut émettre de la monnaie pour diminuer l'endettement public, soit en rachetant des titres publics, quitte à réduire d'autres formes de création monétaire, soit par une augmentation inflationniste de la masse monétaire si ces achats de titres publics ne sont pas neutralisés. Dans la conjoncture actuelle, le risque inflationniste est pour le moins réduit. C'est même le risque contraire - celui d'une déflation - qui est à craindre.

C'est précisément le fait que les banques centrales nationales de la zone euro ont été dessaisies de ce pouvoir régalien au profit de la BCE, sans que pour autant celle-ci puisse l'exercer pleinement, qui pose problème.

André Grjebine est l'auteur de "La dette publique, et comment s'en débarrasser" aux éditions PUF