Bataille du rail : Emmanuel Macron en jeu

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  684  mots
(Crédits : DR)
11 mois après sa victoire, Emmanuel Macron devrait donc faire face, enfin diront certains, à son premier grand conflit social. On peut même dire qu'il s'agit là de son premier véritable test politique d'ampleur malgré l'absence d'un quelconque lien entre le mouvement cheminot et les forces d'opposition politique ! Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1 La Sorbonne, président de j c g a.

Il se pourrait que cette bataille du rail, qu'il a choisi de déclencher et qu'il assume, devienne, en cas de reddition syndicale, un formidable accélérateur de destin politique. La victoire, même lente, confirmerait les pouvoirs inédits du mage Macron. Quelle serait ensuite la limite de son ambition ? Quelle part d'audience resterait à l'opposition politique ? Nul doute que le Super Président des ruptures choisirait de tout bousculer en version Président bulldozer : retraites, fonction publique, université, ...

Il se pourrait aussi que les fantômes de 1995 réapparaissent. Un recul trop conséquent et surtout trop visible et Emmanuel Macron serait durablement affaibli. En France et en Europe, il perdrait le contrôle de ce destin politique, personnel aussi, qui ne semble connaître que la gagne.

Habile stratège, Emmanuel Macron a, pour l'instant, déserté le champ de cette bataille du rail. Ce we Pascal, si on l'a croisé médiatiquement jouant au tennis au Touquet, c'est son Premier ministre qui pilote et pilonne avec Elizabeth Borne, la ministre des Transports et la majorité parlementaire. Comme en 1995 ...

Les batailles sociales sont devenues des combats d'opinion et Édouard Philippe et ses troupes ont préparé et accompagné le terrain de la négociation en bombardant, par le haut, médiatiquement, très lourdement la SNCF. Dramatisant sa situation, ses résultats, critiquant ses services, ses employés et lui prédisant un destin funeste si rien ne changeait. Surtout le Gouvernement a misé sur une narration du peuple pris en otage par les privilégiés. Edouard Philippe et ses troupes jettent, dans le conflit, des Français qui, selon lui, vont souffrir des agissements inacceptables des grévistes et qui paient directement de leurs poches, depuis trop longtemps, les errances et abus de ceux qui ne veulent rien changer.

Le « en même temps » macronien est pourtant lui aussi à l'oeuvre. Plus ou moins discrètement le Gouvernement a déjà bougé les lignes et lâché du lest. Renoncement partiel aux ordonnances, ralentissement du calendrier, portabilité des droits sociaux dans de futures sociétés de droit privé, ... là encore en prenant l'opinion à témoin de sa détermination ferme mais éclairée et bienveillante.

La bataille du rail 2.0 se joue donc entre combat médiatique et conflit de terrain. Les syndicats tentent de s'adapter à cette exigence et à leurs capacités réelles de mobilisation. Ils inventent une stratégie d'un nouveau genre, asymétrique. Une sorte de guérilla annoncée. Elle aussi hybride et pensée pour durer le plus longtemps possible, ouvrir ainsi la possibilité d'association avec d'autres luttes spécifiques ou catégorielles et plus loin emporter par proximité d'enjeu ou de situation l'adhésion d'une opinion publique pour l'instant plutôt partagée. On aimerait leur rappeler qu'ils auraient pu, dans le contexte spécifique de la bataille du rail, intégrer la grève du contrôle et gagner immédiatement et jusqu'au bout les soutiens de tous les publics usagers ou non !

Les syndicats jouent une ultime bataille avant, s'ils la perdent, de disparaître inexorablement. Ils ont le champ libre pour tenter de se refaire ... politiquement tant les forces des gauches et d'opposition semblent dépassées, inaudibles voire comme Jean Luc Mélenchon hier, repoussées.

Bien sûr l'enjeu de cette bataille, qui encore une fois sera longue, concerne d'abord le futur de la SNCF. Changement de statut ? de gouvernance ? Reprise de la dette ? Privatisation ? Mais il se joue beaucoup plus dans ce conflit. C'est le destin de la méthode Macron et donc celui du Président de la République. L'évaluation de son efficacité réelle. Trop de reculs, rupture au rabais et Emmanuel Macron ouvrira la porte au retour des alternatives voire à une crise politique. Victoire, même à la Pyrrhus, et il aura fait un grand pas vers un prochain mandat. Feuilleton à suivre.

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Par Jean-Christophe Gallien

Professeur associé à l'Université de Paris 1-La Sorbonne
Président de j c g a, et vice président de ZENON7 Public Affairs
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals