Présidence Biden, Macron, Merkel et les autres face aux défis de la défense européenne

OPINION. Alors que, sous la présidence Trump -qui n'a cessé de critiquer l'OTAN, l'Union européenne s'est retrouvée face à ses responsabilités en matière de défense, la victoire du démocrate Joe Biden change la donne. Pour autant, l'Union européenne doit affirmer son collectif et sa puissance et ne pas attendre passivement les propositions du nouveau président américain. (*) Par Jean Christophe Gallien, enseignant à l’Université de Paris la Sorbonne.
Jean Christophe Gallien, enseignant à l’Université de Paris la Sorbonne, directeur associé de ZENON7 et président de j c g a.
Jean Christophe Gallien, enseignant à l’Université de Paris la Sorbonne, directeur associé de ZENON7 et président de j c g a. (Crédits : Reuters)

Joe Biden a gagné. Exit la néo-diplomatie Trumpienne entre assauts digitaux, confrontations directes, bilatéralisme... et repli stratégique dans la ligne directe d'Obama. La présidence Trump a fait voler en éclats la continuité inclusive de l'OTAN et mis ses alliés européens en face de leurs responsabilités et divisions stratégiques et opérationnelles en matière de défense. Dépendance ou indépendance, dépenses ou économies... les européens ont dû s'interroger individuellement et collectivement sur le management de leur propre sécurité.

L'OTAN « obsolète » et « en mort cérébrale »

En écho à l'OTAN devenue « obsolète » selon Donald Trump, Emmanuel Macron la déclara « en mort cérébrale ». Placés de force devant le réel, en obligation de sortir d'un état de déni géopolitique, les membres de l'Union ont débuté une discussion autour de la révision de leur stratégie de défense collective. Entre adaptation d'une OTAN en vraie difficulté et développement d'une défense européenne encore très conceptuelle. On ressentait à Bruxelles et dans les capitales s'affirmer comme une vraie prise de conscience, pas encore une position commune mais un virage stratégique vers des pistes réelles d'affirmation souveraine.

Une querelle médiatique inutile et inédite entre France et Allemagne

La victoire de Joe Biden a immédiatement ou presque produit un effet de stop de ce processus vertueux. Et on voit et on entend désormais l'expression publique de désaccords sur bases de divisions renaissantes. L'incroyable et totalement inédit ping pong médiatique et public entre Emmanuel Macron et Annegret Kramp-Karrenbauer a montré à tous l'opposition de fond des positions françaises et allemandes en matière de politique de défense. Des divergences historiques que l'on pensait naïvement s'être réduites récemment. La ministre de la défense allemande, présidente de la CDU d'Angela Merkel, lançant dans Politico : « Il faut en finir avec l'illusion d'une autonomie stratégique européenne. Les Européens ne pourront pas remplacer le rôle capital qu'ont les Etats-Unis en tant que garants de leur sécurité. » Emmanuel Macron, très en colère, n'a pu s'empêcher de répliquer en décrivant cette position comme « un contresens de l'histoire ». Il ajouta que : « Les Etats-Unis ne nous respecteront en tant qu'alliés que si nous sommes sérieux avec nous-mêmes, et si nous sommes souverains avec notre propre défense ». Plus inédit encore il prolongeait son propos en affirmant qu'« heureusement, la chancelière n'est pas sur cette ligne ». Et le dernier mot fut pour Mme Kramp-Karrenbauer qui frappa sur la table diplomatique européenne dans une conclusion sentencieuse : « L'idée d'une autonomie stratégique de l'Europe va trop loin si elle nourrit l'illusion que nous pourrions assurer la sécurité, la stabilité et la prospérité de l'Europe sans l'OTAN ni les Etats-Unis ».

Des différences mais pas de rupture, la souveraineté européenne fait son chemin

On le voit, avec le départ accepté de Donald Trump, la Présidence Biden, pourtant pas encore en fonction, crée déjà les conditions d'un retour en arrière. Ce qu'Emmanuel Macron décrit comme une nouvelle anesthésie par l'Allemagne des velléités européennes d'affirmation d'une souveraineté diplomatique et militaire commune. Là où l'Allemagne craint plutôt une période de transition faite à la fois de vulnérabilités et de dépenses nouvelles trop importantes. Angela Merkel y compris. Outre le nouveau signal de division au sein de l'Union dans ces temps européens compliqués entre Brexit à l'arrêt, désaccords persistants sur le plan de relance, ce qui est délicat dans cette affaire c'est que la ministre allemande est pourtant l'une des politiques allemands les plus en pointe sur la nécessité d'avancer concrètement dans le sens d'un renforcement de l'autonomie européenne. C'est plutôt une alliée d'Emmanuel Macron dans sa croisade souveraine. Cette querelle au grand jour transforme en affrontement des positions, en fait, moins éloignées.

Europe centrale et orientale et nucléaire au cœur de la différence

Face à la détermination véhiculée par la France, quitte à le faire dans un format européen réduit comme sur d'autres sujets, les allemands mettent en avant « l'équilibre européen » et en particulier l'attachement à l'OTAN des Européens de 2004, centraux et orientaux qui ne font confiance qu'aux USA contre la Russie. Il y a aussi une base de désaccord plus structurelle. L'Allemagne ne possède pas d'arsenal de dissuasion nucléaire et les mouvements de la mondialisation récente et ses hubris démultipliés jusqu'au sein de l'OTAN ne militent pas, selon elle, pour un cavalier seul mais une démarche inclusive au sein de la plateforme OTAN.

Europe puissance démocratique, économique, diplomatique et... militaire

L'Union européenne doit d'abord absolument faire taire, au moins publiquement, ces différences diplomatiques et militaires. Elle doit ensuite et vite, c'est le défi que proposera la nouvelle administration démocrate, prendre l'initiative de propositions collectives et concrètes dans le cadre d'une approche stratégique globale au cœur de la nouvelle géopolitique de blocs de puissances. Elle ne doit pas réagir après avoir attendu en mode passif les positions ou propositions de Joe Biden ou de son futur secrétaire d'Etat, Tony Blinken. L'Union européenne est une grande puissance démocratique, économique et commerciale. Il lui faut valoriser cette force sur les champs diplomatiques et militaires. Cela passe certes par des débats démocratiques et ouverts mais surtout par l'affirmation d'un collectif, d'une vision partagée et d'actes fondateurs forts. Sans oublier une sémantique elle aussi de puissance, même dans ses relations avec les USA dans ou en dehors de l'OTAN.

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(*) Par Jean-Christophe Gallien
Politologue et communicant
Président de j c g a
Enseignant à l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

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Commentaires 3
à écrit le 28/11/2020 à 10:47
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Question "Souveraineté", moins on en a, plus on en parle!

à écrit le 28/11/2020 à 10:43
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Comment peut on dire que "la défense européenne est un défi" puisque c'est une zone ouverte a tout vent! Tout le monde c'est débarrassé de sa souveraineté!

à écrit le 28/11/2020 à 10:16
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"Les Etats-Unis ne nous respecteront en tant qu'alliés que si nous sommes sérieux avec nous-mêmes, et si nous sommes souverains avec notre propre défense" Oui mais notre président comprendra t'il un jour qu'avec une défense nationale reposant sur...

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