Catalogne : l'Europe perdue face à l'Espagne des factions

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  733  mots
Mariano Rajoy avait dans ses mains la modernité d'une légitimité constitutionnelle et donc politique. Il s'est enfermé dans une réponse archaïque faite de brutalité, presque de haine. C'est un terrible échec politique, démocratique et sociétal. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1 La Sorbonne, président de j c g a.

Quelle triste défaite démocratique, ce dimanche, pour la Catalogne, l'Espagne et aussi pour l'Europe. Peu importe qui avait raison politiquement ou constitutionnellement ! Il y avait là un test démocratique pour ce pays. Peut-être le plus important depuis son indépendance.

C'est d'abord une défaite pour la Catalogne que certains de ses leaders opportunistes ont embarqué, non pas dans un processus construit, partagé et négocié vers une éventuelle indépendance mais dans une dangereuse aventure séparatiste. Une fuite en avant unilatérale qui a divisée non seulement la société espagnole, ce qui pouvait être tactiquement juste, mais aussi la société catalane jusqu'au cœur même des familles.

Terrible échec politique

C'est aussi une défaite pour l'Espagne car si évidemment Madrid a perdu la bataille des images et du cœur, les violences aveugles, le sang qui a coulé signent le retour des vieilles fractures espagnoles. Il fallait aborder cette épreuve en homme d'Etat. Ne pas tomber dans le piège de la faction. Mariano Rajoy avait dans ses mains la modernité d'une légitimité constitutionnelle et donc politique. Il s'est enfermé dans une réponse archaïque faite de brutalité, presque de haine. C'est un terrible échec politique, démocratique et sociétal pour tout un pays qui revit des heures sombres de divisions sanglantes pas encore effacées. L'envie d''indépendance est-elle affaiblie ? L'Espagne est-elle plus forte dans son appartenance identitaire ? L'Etat central sort-il renforcé ? Il reste peu de temps à Mariano Rajoy pour virer de bord sans perdre la face et sans condamner l'Espagne à s'enfoncer dans la pire crise de sa jeune histoire démocratique.

La défaite n'est pas seulement catalane, espagnole, elle est aussi européenne. La crise interpelle Bruxelles, les capitales de l'Union et l'ensemble des citoyens européens. Nul ne peut aujourd'hui demeurer silencieux face au risque d'escalade. L'incapacité collective à résoudre un problème historiquement profond est un échec européen partagé.

Peur commune mais règle des deux poids deux mesures

Unis par une peur commune face au risque d'une contagion des pulsions séparatistes, immobilisés par les principes contradictoires de non intervention dans les affaires intérieures, de respect de l'aspiration à l'autodétermination et du principe de  constitutionnalité, quelque peu piégés aussi par le cadenas des liens de solidarité entre gouvernements nationaux, la plupart des dirigeants de l'Union européenne avaient aveuglément soutenu Mariano Rajoy dans son intransigeance unioniste. C'est désormais un profond malaise qui se répand au coeur des institutions bruxelloises et des capitales de l'Union face au développement d'une crise qui tourne à l'affrontement violent et face à l'affaiblissent de la position de Mariano Rajoy.

Le mutisme lâche des européens n'est plus tenable. Car c'est aussi de construction européenne dont il s'agit. Et ce sont les sécessionnistes régionaux écossais, flamands, ... qui commentent, et plus encore les adversaires opportunistes du processus européen en Europe et ailleurs qui peuvent à leur aise tirer sur une démocratie européenne qui livre ses citoyens aux violences armées des forces de l'ordre. Pourquoi choisir de faire pression sur la Pologne pour atteinte à l'État de droit, et ne rien dire des choix du gouvernement central espagnol de faire tirer sur ses opposants ?

Prudence à Berlin, Londres et presque partout ailleurs, silence à Bruxelles chez Donald Tusk ... évitement chez Jean-Claude Juncker, qui refuse devant l'invitation de certains eurodéputés de jouer les médiateurs entre Madrid et Barcelone.

La Belgique en exemple ?

Du côté de la France, on s'en tient encore à la ligne qu'Emmanuel Macron avait fixée depuis son entrée en fonction : un Etat de l'Union Européenne n'a pas de leçon à donner à un autre, et le seul interlocuteur de la France est Mariano Rajoy. Pour combien de temps ?

Le salut se trouve peut-être dans l'expérience belge, et dans la stratégie de Charles Michel, qu'il y a matière à inspiration pour les Espagnols, pour l'Europe. Charles Michel qui fut le seul chef de gouvernement à réagir clairement hier et qui affirmait que « la violence ne peut jamais être la réponse » et demandait un « dialogue politique ».

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Par Jean Christophe Gallien
Professeur associé à l'Université de Paris 1-La Sorbonne
Directeur général de ZENON7 Public Affairs et
Président de j c g a 
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals