Ce que l’affaire Carlos Ghosn révèle de la justice japonaise

Par Michel Santi  |   |  544  mots
Michel Santi. (Crédits : DR)
OPINION. Ce n'est que 50 jours après le début de sa détention (ayant démarré le 19 novembre 2018) que Carlos Ghosn put enfin comparaître le 8 janvier 2019 - et à sa demande ! - devant une Cour de justice à Tokyo, encordé à un policier par la taille et chaussé de sandales en plastic vert. Il aura donc fallu près de huit semaines au système judiciaire nippon pour laisser se défendre publiquement un accusé qui risque néanmoins de rester incarcéré pendant encore au moins six mois. Par Michel Santi, économiste*.

Au-delà l'affaire Ghosn, c'est donc bel et bien cet engrenage de la justice japonaise qui se retrouve aujourd'hui mise en accusation, car la publicité accordée aux déboires de Carlos Ghosn éclaire sous un jour nouveau une manière de procéder dont la raison d'être est de broyer les récalcitrants.

Emprisonnement qui se prolonge indéfiniment sans inculpation, interdiction d'avoir accès au dossier, interrogatoires à répétition à toute heure du jour et de la nuit en l'absence d'un avocat, conditions de détention extrêmement rudes, quasi-impossibilité de libération sous caution sont autant de moyens de pression intenses couramment employés - y compris pour les cas n'impliquant aucune violence physique - par une démocratie japonaise qui ne se préoccupe donc ni de la présomption d'innocence ni des droits du mis en cause. Je ne sais si la justice est le reflet - ou la conséquence - du milieu des affaires nippon qui est violent et où la parole donnée compte pour fort peu de choses, toujours est-il que le fondement suprême du système judiciaire nippon est la présomption de culpabilité. Il faut en effet en venir aux extrêmes dans ce pays - tant moralement que physiquement - pour prouver son innocence! Ainsi, Carlos Ghosn - pour revenir à cet exemple- serait bien mieux traité et aurait une bien meilleure chance d'être libéré sous caution en attente de son procès...s'il avouait ses crimes, avérés ou pas! Il restera emprisonné, autrement dit, dans de telles conditions, et ce tant qu'il continuera à nier.

Il va de soi qu'un tel rouleau compresseur favorise les fausses confessions de prisonniers qui craquent d'autant plus facilement et rapidement qu'ils ne sont assistés d'aucun défenseur pendant ces épreuves sordides, et qu'ils sont totalement coupés du monde. Cette justice japonaise qui se targue d'un taux de condamnation de 99% devrait pourtant se poser de sérieuses questions tant il semble évident que la limitation dans le temps de la détention provisoire combinée à l'assistance d'un avocat réduirait considérablement ce palmarès digne d'un régime dictatorial. De fait, une telle procédure inique où l'accusation ne prévaut que par et que grâce à l'aveu - seule et unique technique d'investigation - est indigne d'une grande démocratie. Ce taux de condamnation de 99% n'honore effectivement pas une justice qui - en toute logique - n'instruit donc que les dossiers qu'elle est certaine de gagner, quand ce sont précisément les relaxes et les non-lieux qui caractérisent une justice impartiale, ou tout simplement humaine.

Les enquêteurs et juges nippons devraient donc apprendre et accepter de perdre plus souvent plutôt que de ne traiter que les dossiers gagnants. Le cas Ghosn et la lumière ainsi braquée sur un tel système judiciaire ancestral doivent faire évoluer le Japon qui, du point de vue de sa justice, peut mieux faire.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier "Fauteuil 37" préfacé par Edgar Morin.
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