Croissance française : du mieux, mais...

Par Ivan Best  |   |  1093  mots
En dépit des « bons » chiffres publiés, la croissance française s'installe sous la moyenne de la zone euro. Cette contre performance tient à la chute de l'industrie depuis le début des années 2000: elle répond aujourd’hui difficilement à la demande

Les cocoricos de Bercy, l'annonce d'une croissance « meilleure que prévu » au premier trimestre ( +0,5% contre +0,4% anticipé, excusez du peu) n'enlèvent rien à cette réalité : depuis 2014, la croissance de la France est inférieure à celle de la zone euro. Selon les prévisions de la commission européenne, l'Allemagne, sans surprise, ferait mieux en 2016, mais aussi l'Espagne, les Pays Bas et l'Irlande, et, dans une moindre mesure, l'Autriche, le Portugal... Même si la hausse du PIB atteint 1,5% cette année, comme le prévoit Bercy, plus optimiste que la commission européenne, la croissance restera en 2016 inférieure à la moyenne européenne (au moins 1,7%).

Pourtant, l'économie française avait plutôt mieux résisté à la crise, en 2012 et 2013, mieux que la moyenne de la zone euro. D'où vient cette contreperformance ? Et cette impression que la France est condamnée pour des années à des taux de croissance très modérés, pour rester poli ?

 Un problème d'offre?

Les hausses d'impôts ne sont pas en cause : c'en est fini de l'augmentation à marche forcée des prélèvements obligatoires des années 2011-2013. L'évolution de la demande est équivalente à celle du reste de la zone euro. Elle est alimentée par un crédit en hausse sensible, et par des salaires qui, en moyenne, n'ont cessé de progresser. Les hausses accordées par les employeurs ont ralenti, mais, dans le même temps, l'inflation est tombée à zéro. Du coup, la progression du salaire réel (hors inflation) « par tête », reste positive, au dessus de 1%.

Y-a-il un problème spécifiquement français du côté de l'offre ? Comme le souligne Patrick Artus, directeur des études économiques de Natixis, dans une étude qu'il vient de publier, les profits se sont sensiblement redressés en France. L'Insee avait relevé récemment la progression sensible du taux de marge des sociétés, revenu en ce début d'année proche de son niveau de long terme, après une chute amorcée en 2011, qui s'est prolongée jusqu'en 2014. En théorie, les entreprises ont donc les moyens de répondre à la demande.

Une érosion de l'industrie depuis le début des années 2000

D'où vient le problème, alors ? De l'industrie, peut-être. La compétitivité de l'industrie française a commencé à s'éroder dès le début des années 2000, comme en témoigne la perte continue de parts de marché à l'exportation. La crise de 2008 a porté le coup de grâce à l'industrie française. Des secteurs comme l'automobile, dont le recul avait commencé dès le milieu des années 2000, délocalisations aidant, ont été littéralement laminés. Au mois de février 2016, plutôt favorable selon les statistiques de l'Insee, la production du secteur était inférieure d'un tiers à son niveau du printemps de 2005.

Certes, comme le souligne l'Insee dans une étude publiée récemment, quelques branches industrielles ont mieux résisté depuis 2000. Il s'agit de la pharmacie, de la chimie, des matériels de transport (merci Airbus...) et les industries agro-alimentaires. Elles ont évité une baisse de l'ensemble de la production industrielle. Mais ces cinq branches dans le vert, contre huit dans le rouge, l'ensemble n'a rien de glorieux, avec une valeur ajoutée quasi étale (+0,1% par an) pour l'industrie manufacturière, entre 2000 et 2014.

Repartir du bon pied?

Il s'agit là du passé, pourrait-on dire. Rien n'empêcherait de repartir du bon pied, à mesure que la conjoncture se redresse au sein de la zone euro, si l'embellie se confirme, si la demande repart de l'avant. C'est vrai... en théorie. Car la réalité est un peu différente. A coup de délocalisations massives, de sous investissement s'agissant des entreprises toujours présentes sur le sol de l'hexagone, l'appareil productif n'est plus vraiment capable de répondre à la demande. L'industrie manufacturière ne représente plus que 11% de l'économie, contre près de 20% à la fin des années 80. Une chute qui s'est accentuée au cours des années 2000, sans que l'on puisse incriminer l'externalisation de certains services, qui expliquait auparavant un transfert de l'industrie vers les services : les entreprises ont fini d'exploiter toutes les possibilités de sous traitance (nettoyage, comptabilité...).

La baisse de l'industrie tient donc aux fermetures d'usines, au choix d'ouvrir des sites de production dans des pays au coût de la main d'œuvre moins élevé (cf le choix de Renault d'investir au Maroc, en Turquie...). L'industrie n'est donc plus là pour donner une dynamique à l'économie, grâce à des reprises toujours plus marquées que dans les autres secteurs. Les services ne connaissent pas de mouvements aussi nets.

 Un manque de répondant

Les chiffres du premier trimestre témoignent du manque de répondant de l'industrie française: la demande est là, comme le montre l'envolée de la consommation de biens manufacturés (+2,4% d'un trimestre sur l'autre), mais l'appareil de production n'est pas capable de faire face. La fabrication de produits manufacturés n'a connu qu'une maigre hausse, bien plus faible (+0,3%).

Le surcroît de demande interne part bien sûr en importations. S'agissant de l'industrie, les achats à l'étranger ont augmenté cet hiver de 1,1%, ils progresseront de plus de 7 à 8% sur l'ensemble de l'année. Ce ne sera pas le cas des exportations, dont la progression serait inférieure à 5%. Au premier trimestre, l'évolution globale des exportations été négative (-0, 2%), ce qui en dit long sur la compétitivité industrielle française.

Bien sûr, le gouvernement peut mettre en avant le succès -relatif- de sa politique en faveur de l'investissement. La mesure autorisant le sur-amortissement des dépenses d'équipement joue son rôle, dopant l'investissement dans certains secteurs. Il n'empêche que l'investissement, mesuré globalement, reste aujourd'hui en France largement inférieur à son niveau de 2008. En proportion du PIB, il est passé de 23,5 à 21,5% du PIB. Rattraper le retard, sortir du sous-investissement demandera du temps.

 Une politique de relance

Comme le souligne l'économiste Michel Aglietta, même si la politique budgétaire a cessé d'être restrictive au sein de la zone euro, de peser sur la croissance, elle a eu un impact à ce point négatif au début des années 2010 que la sortie du marasme, de la stagnation séculaire, ne peut être spontanée : une relance européenne serait nécessaire, via l'investissement dans la transition énergétique, défend cet économiste. Le Fonds monétaire international ne dit pas autre chose, préconisant un soutien de la demande, tout comme l'OCDE.