Économie post Covid-19  : comment changer les règles du jeu  ?

Par Stéphanie Flacher (*)  |   |  1296  mots
(Crédits : dr)
OPINION. Si l’impasse de notre système moderne est davantage visible et le besoin de transformation de plus en plus exprimé, comment engager un éveil de nos consciences apte à changer notre système de fonctionnement ? Comment éviter de reproduire des schémas qui se montrent dépassés ? (*) Par Stéphanie Flacher, conseil auprès de Fintechs après vingt ans au sein d’un groupe bancaire.

En psychanalyse, une crise ou un trauma est considéré comme une opportunité car il manifeste le signe que la voie poursuivie par le sujet ne correspond pas à son désir profond. Le trauma permet alors de sortir d'une boucle dans laquelle on réalise que la souffrance provenait avant tout des efforts produits pour conserver l'ancien mode de fonctionnement. De même, l'approche systémique considère qu'un système génère une crise quand il a besoin de changer d'homéostasie, c'est-à-dire d'équilibre. Un autre fonctionnement est alors possible.

En faisant remonter à la surface de façon planétaire et simultanée les symptômes de notre époque, financiers, politiques, économiques, sociaux, environnementaux, COVID-19 est de nature à nous pousser à sortir du déni. À la fois par son ampleur mais aussi par sa nature, qui nous rappelle à notre essence d'êtres mortels et vulnérables, cette crise est de nature existentielle. Elle est en mesure de provoquer des transformations dans nos représentations et nos comportements.

Mais l'effet du choc que provoque cette pandémie sera-t-il suffisamment profond pour nous engager dans une logique de transformation ? Aurons-nous la conscience collective pour traverser les étapes connues du changement, choc-déni-colère-peur-tristesse-acceptation-pardon, pour aller vers un système plus mature ? Le risque est de se précipiter sur un plan de relance a priori rationnel et logique pour sortir du choc et sauvegarder ce qui nous rassure, mais de rester à la case déni en conservant nos vieilles routines faute de s'y confronter.

Eviter une relance sur des bases vérolées

Le risque est de se focaliser sur un plan de relance pour sauvegarder ce qui nous rassure chacun à court terme, en conservant les vieux modèles par déni.

Dans l'urgence, le risque est de fantasmer une relance sur des bases vérolées, c'est-à-dire essentiellement autour d'enjeux d'argent et de moyens, contre lesquels il nous sera d'autant plus dur de lutter que nous serons nombreux concernés par la perte de revenus et de sécurité. Nous serons noyés entre les experts du choc de la demande, de l'offre, des politiques monétaristes et budgétaires, de l'inflation, de la déflation. Les débats seront préemptés par les notions d'austérité, de souveraineté, de réduction des inégalités, de préservation des libertés. Mais nous resterons figés dans l'impasse qui génèrera de prochaines crises de plus en plus graves, le cocktail actuel étant structurellement explosif : économie de la dette, bulles financières, besoin de croissance infinie, création monétaire, pression sur le travail et l'épargne, soutien du capital.

Comment alors changer de niveau de logique ? Comment se détacher de croyances et de mythes faussement protecteurs de type omniscience, infaillibilité, sécurité, rentabilité, propriété, production ? Devant une telle catharsis, contentons-nous d'envisager quelques perspectives simples et basiques, mais à notre main.

Faisons l'hypothèse que "L'Economie" n'est ni une science ni un savoir, mais que l'économie est un ensemble de conventions, de règles du jeu pour s'organiser entre nous, se répartir les tâches et organiser nos échanges croisés à la fois à l'échelle de la planète et de nos quartiers. L'économie est un échange de solidarités. L'argent, qui est devenu le centre de l'attention, est un faux débat voire un leurre. La question centrale n'est pas de manquer d'argent, l'argent ne se mange pas, il ne pousse pas sur les arbres (seulement par des écritures informatiques), il ne sert ni à soigner ni à transporter ni à s'organiser. En revanche, l'enjeu est de s'entendre entre nous sur une nouvelle façon d'échanger. C'est un enjeu de consensus et de confiance. L'argent disparaît ? Organisons-nous autrement.

Voici le jeu auquel nous participons : nous sommes plus de 7 milliards, avec des ressources et des besoins différents, à l'exception des besoins vitaux, et nous partageons une planète qui elle-même a des ressources et des besoins. Comment s'organiser ? Voilà ce qu'est l'Économie, c'est répondre à la question de savoir comment se répartir l'espace et le temps entre nous. Posséder, accumuler sans fin ni faim, spéculer, n'est pas une nécessité, encore moins une solution. L'argent n'existe pas en tant que tel et n'a aucune valeur intrinsèque. L'argent est un outil pour représenter nos accords entre nous pour mettre notre énergie à fabriquer, échanger, utiliser des biens et des services dans l'espace et le temps. Alors changeons d'outil.

Ce qui est immuable, c'est la possibilité de partager l'énergie humaine et de la transformer en biens et services utiles.

Nous pourrions décider de nous organiser autrement avec d'autres outils, et ce d'autant plus avec les technologies numériques qui raccourcissent à la fois le temps et l'espace, et qui permettent d'organiser de façon plus locale des besoins globaux. Il est par exemple possible de programmer les plateformes d'échanges de biens et services au plus près de nos besoins, de façon sécurisée et régulée par les tiers dépositaires de notre confiance (états, agents agréés, etc). Des règles d'impact et d'utilité, social-économique-environnemental, peuvent être insérés dans les programmes, au cœur des flux. La valeur est alors fixée au plus près des usages, et sa conservation dans le temps toujours possible dans les coffres numériques. Cette architecture inverse la pyramide où quelques forces de production décidaient de nos échanges et besoins, vers une logique distribuée et inclusive où nos usages déterminent les ressources à impacter.

L'impasse du système actuel

Comprenons que si l'argent s'envole, rien n'est perdu pour autant de notre capacité à faire société et économie, la vraie valeur reste : celle de pouvoir se répartir les tâches pour continuer à avancer. À cultiver des terres, à fabriquer des machines, à se soigner les uns les autres, à ramasser des poubelles, à faire décoller des avions, à créer du beau et du bon, à s'instruire pour faire du bien. L'argent n'existe pas par lui-même. C'est un leurre et une drogue puissante.

Le fonctionnement actuel relève de croyances, de représentations et de peurs instrumentalisées. Comprenons que la crise actuelle et notre dépendance à la valeur financière pour la résoudre est le reflet d'un conflit originel, propre à l'humain et vieux comme lui, sur notre rapport à la finitude. Voici notre conflit commun originel : nous sommes dotés d'un esprit infini, capable de traverser le temps et l'espace par la seule pensée, mais qui paradoxalement habite un corps contraint par des limites physiques et temporelles. Voilà le paradoxe puissant qui nous mine et auquel nous essayons d'échapper : concilier notre essence infinie dans un corps fini.

Chacun de nous porte ce conflit existentiel et cette névrose originelle. Mais en le niant et en ne le nommant pas, nous nous contentons de fuir la finitude en l'échangeant contre des externalités comme le confort, la sécurité matérielle, la réussite, la guérison, la religion, l'organisation en cercles d'intérêts (familiaux-sociaux-économiques), les idoles et bien sûr l'argent. Résultat, nous nous déconnectons de notre essence faite de cette polarité infini/fini et du besoin permanent de faire circuler les énergies en nous et entre nous pour rester en équilibre. A fuir ce conflit en nous, il ressort de plus en plus durement entre nous.

Le système actuel est une impasse et le temps gagné est de courte durée. Osons une voie inconnue avec d'autres outils numériques pour organiser une Économie à notre image : biologique.

Retrouvez un extrait de la « Lettre du confinement » de Stéphanie Flacher en audio, dans notre Newsletter Spéciale Covid-19 de 12 HEURES.