L'Allemagne n'est pas mourante, et c'est tant mieux

Par Antoine Armand  |   |  920  mots
L'Allemagne n'est pas au plus mal, même si son évolution démographique est un défi. Par Antoine Armand, élève à l'Ecole Normale Supérieure de Paris

Dans une curieuse tribune datée du 16 mars et intitulée « Il n'y a pas de miracle allemand », Michel Santi, « économiste », aligne une quantité surprenante de contre-vérités.
M. Santi dépeint ce qui ressemble à un immense contraste entre d'une part, « la posture allemande arrogante et supérieure » prescriptrice de réformes, et de l'autre l' « irrésistible déclin » d'une Allemagne qui serait « un des problèmes du monde de demain ». Comment ne pas, alors, s'insurger contre « l'intransigeance allemande » alors même que pour l'Allemagne, « la messe est dite » ?

La presse allemande ne se résume pas au journal Bild

La virulence du ton ne doit pourtant rien à la justesse du propos. On pourrait presque comprendre les affirmations concernant l'attitude des responsables politiques et des journalistes allemands. On peut toujours, avec mauvaise foi et sans discernement, les soutenir - même si M. Santi ne les étaie ici d'aucune citation ni justification, et même si l'on pourrait lui opposer de nombreux contre-exemples. Plusieurs économistes comme MM. Enderlein et Fratzscher font entendre des voix différentes depuis longtemps. La presse allemande ne se résume pas au journal Bild ; à titre d'illustration, Olaf Gersemann, rédacteur en chef des pages économiques du grand quotidien Die Welt, a publié un livre intitulé "La bulle allemande", très critique envers la situation économique du pays. Enfin, les politiques allemands font preuve d'une modération bien plus grande que celle décrite par M. Santi. Sur la question des investissements publics par exemple, M. Schäuble lui-même a reconnu le problème des infrastructures publiques, et a annoncé au début de l'année un plan de 10 milliards d'euros pour les deux prochaines années, un montant assez proche de la somme préconisée dans le rapport fédéral sur les infrastructures.

La productivité continue d'augmenter

En revanche, impossible de ne pas pointer les erreurs (ou les mensonges) de M. Santi lorsqu'il évoque la situation économique « réelle » de l'Allemagne. Le propos est assez simple : l'Allemagne va mourir.
La première cause de cette mort annoncée par l'auteur serait l'état du marché du travail allemand. Ainsi, la productivité allemande aurait « été amputée de ses deux-tiers entre 2005 et 2014 ». Cette affirmation factuelle est tout simplement fausse : la productivité horaire du travail en Allemagne a augmenté de 0.3% par an depuis 2007, d'après l'OCDE. A la créativité statistique s'ajoute le flou artistique sur les minijobs, auxquels la croissance allemande (1.6% en 2014) serait « entièrement » redevable. C'est ignorer que la croissance allemande a été surtout tirée par la demande intérieure en 2014, et donc par la consommation des ménages plutôt que les gains obtenus par les entreprises à l'aide des minijobs ; en tout état de cause, ces emplois ne peuvent pas, bien au contraire, être la seule cause de l'essor allemand.

L'oubli de l'apport de l'immigration

On s'étonne en revanche que M. Santi ne souligne pas plutôt que les salaires allemands augmentent alors que la productivité stagne, ce qui va nuire à terme à la compétitivité allemande. C'est peut-être parce qu'il faudrait alors mentionner, par souci d'honnêteté, la puissance exportatrice de l'Allemagne, qui repose en grande partie sur des produits de haute qualité, peu substituables et fabriqués par des salariés qui n'occupent pas des mini-jobs.
Mais venons-en à la deuxième maladie allemande pointée, sans beaucoup d'originalité, par M. Santi : le « cataclysme » qui attend les allemands, l'érosion démographique. L'auteur commet ici trois fautes : premièrement, les chiffres qu'il donne correspondent au scénario le plus pessimiste (selon le plus optimiste, il y aurait 79 millions d'habitants en Allemagne en 2060, et non 65, contre 81 millions aujourd'hui) ; deuxièmement, l'auteur omet de préciser qu'il s'agit bien sûr de projections faites à politiques publiques fixes, et que de nombreuses mesures pourrait influer la tendance à venir qui n'a aujourd'hui rien d'inexorable à l'horizon de 2060. Enfin, l'auteur ne mentionne pas la question pourtant essentielle de l'immigration dans le cadre de la démographie, mais à propos du marché du travail, pour déplorer que l'Allemagne ne parvienne pas à accélérer l'immigration. Or, précisément, le solde migratoire allemand, positif depuis longtemps, augmente fortement chaque année : il a atteint 470 000 personnes en 2014 (selon l'Office statistique fédéral allemand). Si ce scénario se poursuivait, même avec une moindre ampleur, la population allemande aurait tendance à stagner. Et on ajoutera volontiers que si la population diminue, une croissance faible suffit à augmenter significativement la richesse par habitant...

 Des bases solides

A l'aune de ces corrections, le péril annoncé semble bien moindre. L'Allemagne est confrontée à des problèmes essentiels pour son avenir, mais dispose encore de bases solides. Il ne s'agit pas de crier au « miracle allemand » ; contrairement à ce que semble croire l'auteur, il y a longtemps que l'Allemagne n'est plus vue comme un irréprochable modèle, en France comme en Allemagne. Et une fois la réalité reconnue, encore faut-il savoir ce que l'on en fait : un épouvantail stérile et une stigmatisation répétée de notre premier partenaire politique et économique (M. Santi a déjà évoqué, il y a moins d'un mois, le « moribond allemand » ), ou une source de réflexion pour de nouvelles perspectives. La faiblesse démographique allemande, l'augmentation de la demande intérieure pourraient peut-être aussi constituer une chance pour l'Europe. Mais pour voir les choses ainsi, il faut penser collectivement, et non construire des camps fictifs plutôt propres à éroder une confiance mutuelle qui, elle, se meurt vraiment.