L'Europe, en guerre contre ses citoyens ?

Par Michel Santi  |   |  527  mots
(Crédits : JOHANNA GERON)
OPINION. 4 ans après la Grande Récession de 2007-2009, les Etats-Unis avaient récupéré 4 millions d'emplois. 4 après la pandémie, ils en récupèrent désormais 6, grâce aux stimuli fiscaux massifs mis en place par l'administration Biden. L'Europe, pour sa part, comme d'habitude, végète, stagne. Par Michel Santi, économiste (*)

Attendez : à moins qu'elle ne tente de suivre les Etats-Unis qui n'avaient pu surmonter la Grande Dépression que grâce à leur machine de guerre à la faveur de leur participation au second conflit mondial ?

C'est en effet vers un keynésianisme militaire que s'achemine inéluctablement l'Europe dont les dirigeants autant nationaux que supra nationaux retrouvent subitement une âpreté que l'on ne leur connaissait plus !

Sacrifices et fin de l'insouciances

Ces bouffées de testostérone visibles autant chez les hommes que sur les femmes de pouvoirs européens les conduit même à fouler aux pieds le sacro-saint Pacte de Stabilité s'il s'agit de dédier de l'argent à s'armer. Si ce n'est qu'ils ont tout faux, car cet expansionnisme a des limites, le peuple qui, pour sa part, n'aura droit qu'à l'austérité. C'est en effet aux Européens que l'on assène désormais 24/7 l'inévitabilité des sacrifices et «la fin des insouciances»...

Les obligations d'État grecques, qui ne furent pas incluses lors de la crise des dettes souveraines dans les programmes de rachats de la Banque Centrale européenne, car considérées trop risquées, le furent néanmoins par la suite durant la pandémie. La population grecque avait été affamée quelques années plus tôt par ces mêmes dirigeants et institutions contraints de garantir leurs dettes à l'échelon européen quelques années plus tard. Un scénario similaire se déroule aujourd'hui, car il nous est doctement expliqué que la rigueur est incontournable, sauf pour les dépenses militaires, sans que l'on nous explique cette mystérieuse dichotomie entre les besoins de la société et cet engouement pour une guerre dont nul ne veut.

Composer avec les contraintes budgétaires

À moins que l'austérité ne soit, en réalité, cette chape de plomb prétendument rationnelle, pseudo-scientifique, qui doit tout naturellement s'imposer à certains secteurs de l'économie, mais pas à d'autres. Les lois de l'économie et la main invisible exigeraient donc la discipline pour les dépenses sociales, mais pas militaires ? L'orthodoxie européenne ramène donc le keynésianisme à une sorte de collectivisme, de tare intellectuelle, dès lors qu'il bénéficie au plus grand nombre.

C'est comme si les pouvoirs en place en Europe avaient fait leur et appliquaient à la lettre la répartie d'Aldous Huxley selon laquelle « 62.400 répétitions font une vérité », tant il est vrai que l'austérité ravage l'école, l'hôpital, la recherche, l'environnement, la société civile forcés de composer avec les contraintes budgétaires... mais pas la guerre. Nulle règle ne s'applique, le Pacte doit être suspendu dans les limbes, dès lors qu'il s'agit de dépenser pour notre armement et pour celui de nos alliés.

« Quels idiots », concluait Huxley à la fin de sa phrase.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
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