La face cachée de l'Allemagne

Par Michel Santi  |   |  571  mots
(Crédits : DR)
OPINION. En Allemagne, 9 millions de travailleurs sont des précaires qui sont rémunérés 10,80 euros l'heure à raison de 35 heures par semaine, et qui se font donc un revenu brut annuel de moins de 20.000 euros. Par Michel Santi, économiste*.

Dans ce pays où le salaire médian est déjà bas (15 euros de l'heure), c'est donc le quart de la masse salariale allemande qui subit un traitement quasi esclavagiste de la part d'entreprises florissantes à l'exportation, ce avec le consentement d'autorités et de partis politiques ayant les yeux seulement rivés sur leur balance commerciale. Comment nous - européens - tolérons toujours que ces 9 millions de salariés allemands - nos voisins - soient les moins bien payés et traités de la totalité des pays de l'OCDE, à l'exception du Mexique ?

Madame Merkel, dans son infinie générosité d'accepter les centaines de milliers de migrants il y a quelques années, avait néanmoins clairement à l'esprit les statistiques montrant que 30% de ces salariés low-cost sont issus ou sont enfants de migrants. En outre, 30% de ces précaires sont, eux, originaires de l'ancienne Allemagne de l'Est. En fait, le pouvoir d'achat de ces travailleurs immigrés et provenant de l'Est allemand est aujourd'hui parfaitement similaire au pouvoir d'achat en vigueur au sein des pays dits en développement. Merkel a beau affirmer et répéter que les Allemands vivent aujourd'hui « dans la meilleure Allemagne qui soit », elle semble ne pas être préoccupée outre mesure par cette armée de pauvres - voire de très pauvres - concitoyens n'ayant rien d'autre à part leur maigre salaire, aucun actif, aucune propriété, aucune épargne, quasiment rien sur leur compte bancaire. C'est effectivement pas moins de 40% de la population allemande qui se retrouve désormais exclue du mirage allemand et qui - selon un sondage de la chaîne ARD - place désormais les inégalités sociales au même rang que le problème des réfugiés sur la liste de leurs inquiétudes prioritaires.

Pourtant, la situation est loin de s'améliorer pour cette immense sous-classe de travailleurs allemands, car les statistiques économiques du pays sont en pleine décélération. À moins que les employeurs ne parviennent à les persuader de diminuer encore leurs revenus pour sauver la machine allemande ? La domination de l'Allemagne, ses excédents comptables et commerciaux exemplaires, bref le miracle allemand sont quasi entièrement redevables à une masse salariale sous-payée et souvent contrainte de se loger dans des baraquements, voire dans des tentes pour survivre.

En éliminant leur propre dette publique, les Allemands tentent-ils indirectement de couper court à toute tentative qui viserait à mutualiser la dette au sein de l'Union ? La quête du Graal allemand - qui se résume simplement à engranger les surplus comptables - est sur le point de rendre irrémédiablement malade l'ensemble de l'Union européenne. Qu'à cela ne tienne, car les Allemands s'avèrent royalement indifférents à l'exacerbation des déséquilibres européens, comme ils se montrent insensibles au besoin vital de flexibilité budgétaire d'une nation à la dérive comme l'Italie désespérément en mal d'investissements publics. Autrefois - à la fin des années 1990 - homme malade de l'Europe, l'Allemagne aurait-elle contraint des pays comme l'Italie à intégrer l'euro afin de les inonder avec ses exportations, quitte à massacrer au passage leur économie ?

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier "Fauteuil 37" préfacé par Edgar Morin.
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