Le médiateur veut-il tuer la concurrence dans l'énergie ?

Par Gael Duval  |   |  951  mots
Gaël Duval, PDG de JeChange.fr
La concurrence progresse dans la distribution d'énergie. Pour autant, le médiateur du secteur persiste à souligner opposition des Français à ces transformations. Par Gaël Duval, PDG de JeChange.fr

L'édition 2016 du baromètre « Info-Énergie » réalisée au mois de septembre est formelle et sans appel. La perception positive de l'ouverture des marchés du gaz et de l'électricité continue à progresser chez les Français, qui sont désormais 68% à la considérer d'un bon œil. Pas étonnant si l'on considère que 37% d'entre eux estiment que changer de fournisseur d'énergie « en vaut la peine au regard des économies possibles », selon une étude OpinionWay pour JeChange.fr.

Au-delà, 24% des Français disent même envisager un tel changement dans un avenir proche, soit une part considérable du marché ! Pour autant, cela ne suscite pas un enthousiasme débordant chez le médiateur de l'énergie, qui préfère souligner dans son communiqué officiel... que 76% n'ont donc pas l'intention de changer.

Ce biais d'interprétation, repris sans précaution par de nombreux titres de la presse française, pourrait paraître anodin s'il ne constituait pas un phénomène récurrent et assez dérangeant dans la communication du médiateur. Monsieur Jean Gaubert, qui s'était déclaré personnellement hostile à l'ouverture des marchés de l'énergie après sa nomination en 2013, ferait-il tout pour imposer sa grille de lecture et saboter un processus dont les effets bénéfiques sur le pouvoir d'achat des Français sont, pourtant, largement documentés ?


Le verre à moitié vide


Depuis plusieurs années déjà, la manie du médiateur de l'énergie de toujours voir le verre à moitié vide est frappante et tout à fait palpable lorsqu'il évoque l'ouverture des marchés de l'énergie et ses effets réels ou - plus souvent - supposés. En 2014 déjà, le dixième anniversaire de l'ouverture à la concurrence pour les professionnels - libres de choisir leur fournisseur depuis le 1er juillet 2004 - avait été l'occasion d'une déclaration péremptoire et sans réplique de Jean Gaubert : selon le médiateur, et alors que le processus aurait dû amener une baisse des prix, « le consommateur professionnel ou particulier n'y a pas gagné, au contraire ». Une telle approche ne pouvant que conforter l'inertie ambiante et décrédibiliser l'idée même de changement.

L'intéressé persiste et signe en juin 2015, lorsqu'il profite de son rapport annuel d'activité 2014 pour glisser quelques tacles à l'encontre du marché ouvert de l'énergie. Ce dernier, « sept ans après l'ouverture à la concurrence » peinerait notamment « toujours à trouver son rythme de croisière », avec une baisse des prix promise, mais « loin d'être au rendez-vous, particulièrement pour l'électricité ». Et d'avancer, entre 2007 et 2014, une hausse spectaculaire du tarif de l'électricité comprise entre 49 % et 56% selon le moyen de chauffage utilisé.

La Contribution au service public de l'électricité a littéralement explosé


Cette vision tranchée a été rapidement contestée par d'autres observateurs attentifs du marché, à commencer par la commission de régulation de l'énergie (CRE) qui a fourni ses propres données et a conduit le médiateur à reconnaître une erreur d'appréciation dans ses calculs... en ramenant la fourchette évoquée plus haut entre +33% et +35% seulement. Mieux : à cela s'ajoute l'absence de toute prise en compte de l'inflation, qui a tout de même atteint 11% sur la période ! Un dernier facteur non pris en compte, aussi et surtout, a été l'augmentation de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), qui a littéralement explosé sur la période. Au final, il apparaît que le coût de l'électricité hors CSPE entre 2006 et 2014 n'a augmenté que de... 6,9% en euros constants.

Passablement ridiculisé par cet épisode grotesque, le médiateur a dû - chose rare - sortir de sa réserve pour publier un communiqué de presse rectificatif. Puis de rappeler, dans un second temps, que « l'ouverture des marchés est aujourd'hui un fait que [ce dernier] ne conteste pas puisque c'est la loi », mais que ce dernier « continuera, en toute indépendance, à partager ses constats ». Un passage étrange, et ayant des relents d'autojustification.

Tendance au conservatisme


Garant de la protection et de la qualité d'information des consommateurs en matière d'énergie, le médiateur a été pensé par la législation comme un arbitre neutre entre les différents opérateurs et leurs clients dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. N'était-il pas, dès lors, bien peu judicieux de nommer à ce poste un homme n'ayant jamais caché son hostilité de principe à cette nouvelle donne ? Dans un entretien accordé aux Échos en décembre 2013, Jean Gaubert admettait ne pas être favorable à l'ouverture du marché « à titre personnel », même s'il se défendait dans le même temps d'utiliser son poste pour « militer pour une cause ». Une tendance au conservatisme et une allergie à la concurrence déjà bien connues depuis 2011 lorsque l'ancien député socialiste s'était distingué, pour l'anecdote, en défendant farouchement les forfaits de téléphonie mobile avec engagement de 24 mois malgré les préconisations contraires de l'association UFC Que Choisir !

Peut-on espérer une évolution des prochains baromètres « Énergie-Info » vers une présentation moins partisane et plus équilibrée ? À défaut d'une page entière et assez vaine consacrée au niveau de notoriété du médiateur lui-même auprès des Français, il serait par exemple intéressant que Jean Gaubert s'attache davantage à sa mission légale consistant à « informer les consommateurs d'énergie sur leurs droits ». Comment ? Par exemple en rappelant, comme le fait la CRE chaque trimestre, que certains fournisseurs alternatifs de gaz ou d'électricité permettent actuellement une économie garantie de 6 à 7 % par rapport aux tarifs réglementés de vente. Mais l'omission, dans le domaine de l'information, n'est-elle pas le paravent du mensonge ?