Les Gilets Jaunes et Emmanuel Macron ne doivent pas se laisser voler le Grand Débat

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  582  mots
Jean-Christophe Gallien. (Crédits : Reuters)
OPINION. Après avoir trop tardé, Emmanuel Macron a désormais le courage de proposer une démarche ambitieuse et innovante, le Grand Débat National. En renouant avec son ADN de président "Live", celui du dégagisme de l'Ancien monde, il prend aussi un risque politique hautement inflammable. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, président de j c g a.

Sur les ronds-points, dans les occupations et les rassemblements de la rue physique, comme dans leur agora digitale et permanente facebookée, twitterisée... les Gilets Jaunes ont libéré des énergies hybrides refoulées depuis trop longtemps.

L'éruption jaune n'est pas la France, mais elle est bien française

Cette vague puissante, et c'est sa beauté citoyenne, contredit le modèle d'une France dépolitisée, individualisée, repliée, déprimée... L'éruption jaune n'est pas la France, mais elle est bien française. Elle met à jour des évidences verticales que les gouvernants et leurs administrations hélicoptères n'ont pas vu ou pas voulu voir, encore moins répondre. Évidemment, les énergies et leurs expressions sont composites et souvent contradictoires. Rien de très surprenant: comme tous les pays du monde globalisé, la France est multi-fracturée et son espace public, loin de se contracter, s'est élargi et s'est surtout complexifié.

Les professionnels de l'influence

Une multitude d'acteurs, entre groupes de pression et défenseurs de minorités d'intérêts divers et variés, vient exercer son droit d'influence. Et contrairement aux corps intermédiaires classiques, leur capacité d'obtention de résultats favorables à leurs causes est puissante. Ils le font le plus souvent dans un rapport de force invisible au plus grand nombre mais à l'efficacité silencieuse et redoutable. Entre contradictions, débordements ou complicités, nos gouvernants et leurs administrations souffrent pour résister à ce jeu politique déjà très affranchis des circuits et rythmes de la négociation classique en démocratie représentative.

Emmanuel Macron renoue avec son  ADN de "Président Live"

Emmanuel Macron a trop tardivement répondu à la polyphonie du peuple jaune. Il a désormais le courage de proposer une démarche ambitieuse et innovante, le Grand Débat National. Lui aussi hybride, inédit, incertain... le Grand Débat est l'écho institutionnel de cette bronca citoyenne. En renouant avec son ADN de Président Live, celui du dégagisme de l'Ancien monde, Emmanuel Macron prend aussi un risque politique hautement inflammable. Celui de voir sa belle créature démocratique devenir un monstre hanté et manipulé par les activistes professionnels de la démocratie d'influence, voire par certains acteurs politiques ou administratifs. Non pas que ces derniers devraient être exclus de ce moment national et républicain qui, s'il sera évidemment imparfait, pourrait être fondateur de lendemains prometteurs. Mais ils ne devraient pas être en mesure ni de le dérober aux Gilets Jaunes en l'étouffant par leurs forces de frappes de proposition et de censure déjà en marche, ni de le condamner en s'associant dans une occupation volontairement défouloir ou bataille de rue.

Protéger le Grand Débat

C'est là que réside à la fois la responsabilité et l'opportunité du politique, entre gouvernement national et gouvernances territoriales, de se recharger en légitimité démocratique. Faire en sorte que les doléances soient libres et démultipliées, mais tracées et vérifiables, que la synthèse soit transparente, authentifiable et totalement partagée, et qu'ensuite les retours et propositions soient argumentés et trouvent une voie ou des voies de choix citoyen les plus fondatrices et innovantes possibles pour tenter de solder un passé de dérives et de dénis. Renaître ou disparaître ...

___
Par Jean-Christophe Gallien
Politologue et communicant
Président de j c g a
Enseignant à l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals