Présidentielle : d'où vient le succès de l'anticapitalisme ?

Par François Facchini  |   |  865  mots
La plupart des onze candidats à l'élection présidentielle affichent leur anticapitalisme dans un pays où le régime politique relève davantage de la social-démocratie que du capitalisme. Pour comprendre ce phénomène, il faut analyser comment se forme l'opinion anticapitaliste. Par François Facchini, professeur agrégé des Universités, Centre d'économie de la Sorbonne, Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Lundi 03 avril, onze candidats à la présidentielle ont débattu sur l'avenir du pays. Ce qui frappe, outre la grande difficulté qu'il y a à dire que l'administration publique est largement endettée et que les dépenses publiques et la pression fiscale n'ont jamais été aussi élevées est l'incroyable force de l'anticapitalisme de l'extrême droite en passant par l'extrême gauche et même des partis les plus modérées.

Le capitalisme est haï ou défendu du bout des lèvres. Tout montre pourtant que le capitalisme s'est progressivement retiré au profit d'une social-démocratie qui décide de la majorité de nos choix de consommation, et réglemente la plupart de nos activités. Il est loin le temps où les hommes politiques défendaient la souveraineté individuelle, c'est-à-dire un régime où il n'y a rien au-dessus de l'individu. Désormais, on ne s'embarrasse plus. Il n'y a rien au-dessus du peuple et le peuple peut tout.

Discours quasi unanime contre la finance, les banques, les entreprises

Pourquoi un tel décalage alors entre la réalité de notre régime économique et le discours quasi unanime contre la finance, les banques, les entreprises et cette idée même que seuls les fonctionnaires publics auraient sauvé l'économie du pays après la crise de subprime de 2007-2008 ? Il est impossible de répondre dans le cadre d'un tel article, mais nous voudrions juste proposer un fait qui permet de replacer dans la longue période l'histoire de cette attitude vis-à-vis de l'économie de marché, nommé par les théoriciens marxistes, capitalisme.

L'anticapitalisme est une idéologie. L'idéologie est un système de justification de la manière dont le monde est et/ou devrait-être. Elle est formée des raisons que les hommes se donnent ex ante pour justifier leur choix, et agir, ici voter. Elle est l'argumentaire que l'individu a construit pour justifier le choix qu'il fait et les alternatives qu'il se donne. L'idéologie anticapitalisme est ainsi constituée d'un ensemble d'arguments qui produisent la conviction que le monde est bien comme l'individu se le représente. La formation d'une telle représentation n'est pas, cependant, sans coût. Pour se persuader et persuader les autres, il faut investir des ressources. Il faut entrer en conversation avec les autres et accepter de délibérer. Ce sont les coûts de justification de l'idéologie anticapitaliste. L'idéologie anticapitalisme est retenue par les citoyens parce qu'elle est jugée la meilleure. Elle est jugée la meilleure parce qu'elle est la solution la moins coûteuse à justifier. L'électeur préfère l'anticapitalisme aux positions pro-capitalistes parce qu'il est moins coûteux pour lui de croire que le marché est défaillant que le contraire. Trois facteurs influencent le montant de ces coûts pour chaque citoyen : le nombre de personnes ayant choisi la position anticapitaliste, l'avis des experts et des économistes en particulier et le stock d'expérience dont dispose chaque citoyen sur le fonctionnement des marchés.

Les coûts de justification de l'anticapitalisme en France sont d'autant moins élevés qu'un grand nombre d'individus l'ont adopté. Le fait qu'un grand nombre de Français partage l'idéologie anticapitaliste crédibilise cette représentation du monde. D'une part parce que l'investissement engagé par chaque citoyen pour justifier son anticapitalisme profite à tous les autres. D'autre part, parce que plus l'idéologie anticapitaliste est partagée et moins il devra justifier les autres citoyens de ses positions, de la manière dont il voit le monde.

Un grand nombre d'experts et d'économistes défendent cette position

Les coûts de justification de l'anticapitalisme en France sont aussi relativement moins coûteux à défendre parce qu'un grand nombre d'experts et d'économistes défendent cette position. Contredire un expert a un coût extrêmement prohibitif car chacun a intériorisé le fait qu'il ne peut pas tout savoir et que si un spécialiste du domaine le dit c'est que cela doit être vrai. Si un mathématicien contredit la manière dont j'ai résolu un problème de mathématique, j'aurai du mal à ne pas accepter mon erreur. Le risque d'une telle relation de soumission à la parole de l'expert, de l'acceptation de ses arguments d'autorité est que l'expert abuse de sa position pour défendre une représentation du monde sur lequel finalement il ne sait pas grand-chose. L'extrême droite et l'extrême gauche contestent l'expertise de l'action gouvernementale, mais ne remettent jamais en cause l'idée que le pouvoir politique fait mieux que les entrepreneurs et plus généralement le marché. Les extrêmes font croire qu'il pourrait faire mieux. Elles contestent les modalités de l'intervention de l'Etat, mais pas sa raison d'être. En France, et cela a été parfaitement montré par le livre "Que pensent les penseurs?" de Abel François et Raul Magni-Berton (2015), les intellectuels et les scientifiques toutes disciplines confondues développent plutôt des positions anticapitalistes. L'anticapitalisme est en ce sens la conséquence d'un investissement massif de l'Etat dans la production de faits et de doctrines anticapitalistes.