Rassemblement National, l'ultime pari de Marine Le Pen

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  820  mots
Jean-Christophe Gallien. (Crédits : DR)
S'il peut être aisé de changer de nom, de changer de narration même, il sera complexe, long, coûteux et incertain de changer la perception du futur ex-Front National et de son leader Marine Le Pen. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1 La Sorbonne, président de j c g a.

Entre l'échec marketing du Rassemblement Bleu Marine et la fin de vie politique programmée du Front National, Marine le Pen propose, à ses élus, militants et sympathisants mais, surtout, au reste du marché politique, une simple contraction : le Rassemblement National ! On est en droit d'hésiter dans l'interprétation.

Rassemblement National : simple ravalement de façade ou véritable aggiornamento politique que Marine Le Pen semble vouloir nous vendre et incarner ? Seule la suite apportera la réponse.

Changer de nom est un acte naturel de la vie collective d'un parti politique comme pour toute marque ou toute organisation. C'est un acte légitime, souvent nécessaire, régulièrement efficace mais tout aussi risqué.

Les 3 raisons (pour un parti politique) de changer de nom

Mais pourquoi une organisation politique change-t-elle de nom ? Elles ont été nombreuses à l'entreprendre ces 15 dernières années, en France ou ailleurs, dans des dimensions et des succès tout aussi variables. On peut simplifier la matrice d'analyse en la recentrant sur 3 facteurs fondamentaux.

On peut vouloir changer de nom quand existe un décalage trop important entre l'ADN, l'image, le programme, l'identité... proposés par l'organisation et la perception que le marché politique des citoyens lui renvoie. Dans le désordre, malgré les efforts répétés pour éloigner l'encombrant Jean-Marie Le Pen, malgré la progression réussie en matière de présence et d'accueil médiatique, malgré la croissance de l'implantation électorale durant le précédent quinquennat... l'impact très violent du résultat du second tour de l'élection présidentielle, la déception enchaînée des législatives, des départs subséquents de cadres et de militants, etc., ont démontré un échec de marketing politique et électoral que Marine Le Pen doit corriger.

On veut aussi changer de nom quand l'environnement concurrentiel s'est métamorphosé au point d'exiger une réponse de survie. L'offre politique de notre pays a beaucoup bougé pendant et après les élections présidentielle et législatives. Le "dégagisme" côté leaders a bouleversé un paysage que domine désormais politiquement et médiatiquement Emmanuel Macron. La République en Marche et La France Insoumise proposent, sur les ruines de la quasi disparition du PS, du PC et des mouvements écologistes, des offres aux contours et aux contenus imparfaits, sans parler de leurs organisations respectives, mais des offres qui, là aussi, dominent le marché politique. Seuls les Républicains et leur nouveau boss, Laurent Wauquiez, apparaissent en mesure de tenter de sauver les chances de l'« l'ancien monde » partisan ! Les Républicains et le nouveau FN donc, le Rassemblement National de Marine Le Pen.

On peut vouloir changer de nom enfin parce qu'on veut faire évoluer positivement son expérience, son offre, son marché et donc son destin politique et électoral. On sent bien que, dans le cas de l'ex FN, Marine Le Pen a entendu la dure leçon du second tour de l'élection présidentielle. Elle semble vouloir bouger les lignes de positionnement du mouvement pour tenter un déploiement plus large sociologiquement, démographiquement et géographiquement. On sent bien qu'elle ne veut, qu'elle ne peut évidemment pas tout modifier, renier, nettoyer... mais qu'elle tente de faire partager la nécessité pour réussir ce nouveau déploiement d'ouvrir le futur électoral de l'ex-FN à des alliances politiques.

Un héritage difficile à effacer

Reste qu'elle n'écrit pas sur une page blanche. Terrible rançon d'un succès réel d'audience et d'histoire : nous avons tous et toutes avec le FN et la famille Le Pen un sentiment peut-être même davantage, une relation. Rien n'est neutre dans ce feuilleton politique. S'il peut être aisé de changer de nom, de changer de narration même, il sera complexe, long, coûteux et incertain de changer la perception de ce mouvement et de son leader Marine Le Pen.

Une Marine Le Pen qui fait surtout le pari individuel de rebondir après la désillusion de la présidentielle et sa fragilisation très personnelle après une longue séquence de croissance électorale et de consolidation politique. A un peu plus d'un an des prochaines élections européennes, justement renationalisée dans une circonscription unique par Emmanuel Macron et maintenue à la proportionnelle. Un scrutin qui promet un bon résultat à Marine Le Pen. Ce changement que l'on ne pourra juger sur le fond que dans la durée et l'intensité de l'engagement et des actes politiques, ressemble, pour l'instant, davantage à un pari, comme un roulement de dès à une table de casino. Le dernier ? Pour Marine Le Pen ? Pour le parti ? Avant le changement de leader... le jeu est ouvert.

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Par Jean-Christophe Gallien

Professeur associé à l'Université de Paris 1-La Sorbonne
Directeur général de ZENON7 Public Affairs et Président de j c g a 
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals