Fer de lance de la transformation du modèle entrepreneurial, la responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE) constitue une réponse forte et concrète à l'urgence écologique et sociale. Pourtant cette notion, dont l'appellation même reste source de débat, recouvre une pluralité de situations et de réalités. Si certaines politiques RSE cherchent bien à transformer de manière structurelle le business model de l'entreprise, une partie d'entre elles se résume à des actions marginales, des compensations sans réduction ou encore à de la communication non suivie d'effets concrets.
Cette tendance alimente la défiance des parties prenantes de l'entreprise et de l'opinion publique sur la capacité de la RSE à accompagner les bouleversements sociaux et écologiques de notre temps. Elle pose la question même de sa crédibilité. La seule manière efficace de répondre à ces critiques légitimes, tout en mettant fin à cette confusion qui ne fait qu'accentuer les risques de greenwashing, est de promouvoir une vision systémique de la RSE.
Un risque réel d'atomisation sociale
L'approche de la RSE comme système de transformation se fonde sur le constat scientifique de l'urgence sociale et écologique, sur leur convergence et sur la nécessaire résolution concomitante de ces deux crises. Reconnaître ces enjeux comme systémiques induit le besoin d'une contribution concrète bien plus conséquente des scientifiques dans les décisions et débats nourrissant la RSE, de la part des sciences de la nature comme des sciences sociales. Le travail des scientifiques ne peut se cantonner à la production de savoirs académiques, mais doit s'inscrire dans une perspective de collaboration plus opérationnelle et étroite avec le monde économique afin de construire des solutions communes.
Afin de s'adapter aux attentes de la société contemporaine et de ses parties constituantes, sortir d'une lecture purement financière des choses est essentiel. Ce qui se trouve devant nous n'est pas une bulle spéculative menaçant d'imploser mais bien le risque de l'atomisation sociale et celui de la destruction de nos écosystèmes. Comment adresser de tels bouleversements au jour le jour sans l'expertise d'un climatologue et d'un sociologue ?
La seconde condition d'une politique de RSE systémique est la centralité de ses enjeux dans la stratégie globale de l'entreprise. Les objectifs sociaux et écologiques de l'entreprise doivent être discutés au sein des instances décisionnaires de l'entreprise et leur nécessaire résolution convergente doit être pris en compte en amont de la stratégie globale. Portés au plus haut niveau, les sujets sociétaux deviennent fondamentaux dans le business model et irriguent l'ensemble des branches de l'entreprise et ce sur l'ensemble de sa chaîne de valeur.
Transparence et comptabilité en triple capital
Enfin, la RSE systémique repose sur la notion d'évaluation, de certification et de preuve. Se dessine ici la question de l'impact qui permet d'attester, ou non, de la concrétisation des politiques écologiques et sociales de l'entreprise. Le concept qui semble le plus abouti pour mesurer l'impact de la RSE systémique est la comptabilité en triple capital (financier, écologique et social) qui rend pleinement compte de la valeur sociétale. Ce concept est indissociable de la nécessaire transparence que doit suivre l'entreprise dans la co-construction de ses projets RSE.
L'impulsion forte d'une réflexion autour de la théorisation et de la concrétisation opérationnelle d'une RSE systémique doit être au cœur de la relance écologique et sociale française et européenne. La RSE ne peut se nourrir que d'une confrontation d'idées positives entre le monde de l'entreprise traditionnelle, celui de l'économie sociale et solidaire, des associations, des ONG et des scientifiques. La mise en place de ce débat opérationnel continu, la rencontre de praticiens avec des chercheurs, et la résolution convergente des problématiques sociales et écologiques, constituent la matrice des innovations sociétales pérennes de demain.
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