Pourquoi Château Latour entre en dissidence

Par Nicolas César. Correspondant à Bordeaux  |   |  553  mots
Alain Benoît, Studio Deepix, Bordeaux
Ce premier grand cru classé, propriété de François Pinault, arrête la vente en primeurs. Les raisons d'une décision que seule une importante trésorerie permet d'assumer.

C'est un mini séisme dans le Bordelais. Le Château Latour, l'un des cinq premiers grands crus classés 1855 du Médoc, s'apprête à quitter le système des primeurs de Bordeaux. Ce système, unique au monde, instauré dans les années 1970, permet aux professionnels d'acheter les vins des plus grandes propriétés de la région deux ans avant leur mise sur le marché, à des prix avantageux. Chaque année, début avril, négociants, cavistes, journalistes viennent goûter les premiers échantillons. Pour les propriétaires, c'est le moyen d'avoir du « cash » et de financer les prochaines récoltes. Mais cette année, pas de Château Latour !
 

«Un choix citoyen, pas financier»

Le marché des grands crus classés se porte pourtant très bien. Et, ces dernières années, les prix se sont envolés. Pour les propriétaires, disposant d'une trésorerie abondante et d'une belle cote de popularité, cesser de vendre en primeurs semble tentant, afin d'accroître les profits. La bouteille de Château Latour 2008 en primeurs s'est vendu 150 euros. Aujourd'hui, le consommateur doit débourser près... 800 euros. « Nous prenons un risque, afin de mieux répondre aux attentes de consommateurs qui voyagent beaucoup, n'ont pas forcément de maisons avec une cave sous terre et veulent des vins prêts à boire », répond le directeur de Château Latour, Frédéric Engerer. « C'est un choix citoyen et non financier contrairement à ce que j'entends », nous a-t-il déclaré. Frédéric Engerer estime qu'actuellement « ses vins sont bus trop jeunes dans les bars et restaurants ». « C'est à nous de faire l'effort de les garder plutôt que de faire la morale », plaide-t-il. « Si c'est le château qui garde le vin pendant 10 ou 20 ans, cela réduit les incertitudes sur son vieillissement », analyse Allan Sichel, président de la Fédération des négociants de vins de Gironde, qui met en avant une préoccupation « légitime » des consommateurs.
 

Il faut avoir les reins solides financièrement pour quitter les primeurs

Pour autant, Allan Sichel est convaincu que la position du Château Latour n'aura pas d'effet d'entraînement majeur. « Il faut avoir une certaine trésorerie pour sortir du système des primeurs ». De plus, « les primeurs sont un phénomène mondial, un focus sur Bordeaux bénéfique pour le commerce ». « Tous ceux qui sont déjà sortis du système de primeurs sont revenus dans les cinq années suivantes », rappelle un courtier en vins, sous couvert d'anonymat. Ce dernier estime même que cela peut même nuire à l'image du Château Latour, dans la mesure où le « consommateur sera condamné à payer plus cher qu'en primeurs ».

Une chose est déjà certaine, la campagne de primeurs sera moins fructueuse cette année, en raison de la crise économique, mais surtout de la qualité du millésime 2011, qui est inférieure à 2009 et 2010, « deux années exceptionnelles ». Lafite Rothschild 2011, par exemple, est commercialisé à 350 euros HT pour les professionnels, soit un prix de vente conseillé de 420 à 450 euros, un prix inférieur de 50% à 2010. Au total, pendant les primeurs près de 20 000 caisses de vin devraient être échangées. Le prix de la bouteille varie de moins de dix euros à plus de 500 euros...

 

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