« Il faut casser le code implicite qui induit qu’un dirigeant est forcément un mec »

Par Propos recueillis par Valérie Abrial  |   |  721  mots
Viviane de Beaufort, fondatrice du Club Génération Startuppeuse (Crédits : DR)
Professeure à l’ESSEC et directrice des Women ESSEC Programmes, Viviane de Beaufort a fait de la transmission un engagement. Auteure de nombreux ouvrages dont Génération Startuppeuse aux Editions Eyrolles (2017), elle vient de lancer un club du même nom.

La Tribune : Nous assistons à une offre grandissante du mentorat au féminin ; comment expliquez-vous ce phénomène ? Est-il le symptôme d'un monde entrepreneurial encore trop masculin dans lesquels les femmes tentent de s'extraire en créant de nouvelles solidarités ?

Le mentorat est en effet un levier puissant d'évolution, et la génération de femmes à des postes de décision est désormais plus importante en nombre et plus ouverte à cette logique de transmission et de solidarité avec les plus jeunes, heureusement. On peut voir des duos mentors /mentees homme/femme, mais la majorité est féminine, en effet. Je l'explique parce qu'on ose davantage dire les choses entre femmes, du fait des mêmes expériences vécues souvent, et également peut-être aussi, du fait d'une éducation des filles qui autorise davantage le registre émotionnel. Il s'agit du même phénomène que dans les réseaux féminins ou les formations dédiées -l'empathie et la confiance sont plus immédiates. Espérons qu'on va passer au mixte sans se poser la moindre question plus tard, car tout cela bouge.

La Tribune : La nécessité de rendre visible les femmes qui ont réussi dans leur parcours est une réalité qui s'accélère. Ces femmes, deviennent des rôles modèles et des sources d'inspiration pour les jeunes générations. Ce phénomène peut-il contribuer à changer les mentalités et l'inconscient collectif ?

​Il est clair que la possibilité de se projeter dans un modèle de réussite proche de soi change la donne. Donc, oui, plus il y a valorisation de femmes ayant réussi mieux c'est. Il faut casser le code implicite qui induit qu'un dirigeant est forcément un mec. Sur ce point, j'ai bien aimé le mot d'Isabelle Kocher (DG d'ENGIE, ndlr) dans l'une de vos précédentes éditions :  "l'oeil n'est pas encore assez habitué à voir des femmes patron"​ ! Cependant attention à deux écueils : les pionnières vues et revues, encensées et valorisées, sont identifiées comme trop au-dessus de la mêlée pour que la projection se fasse ; par ailleurs, pour les jeunes, la réussite ne veut pas dire ce qu'elle pouvait signifier pour notre génération. La réussite pour elles, c'est faire ce qui les fait vibrer et de préférence avec un sens pour la planète (doing good). Nos jeunes (à raison d'ailleurs) cherchent donc des modèles exemplaires en termes de valeurs.

La Tribune : En tant que professeure, quel rapport avez-vous avec la transmission ? Que transmet une mentor ?

​Je vis pour et par la transmission, c'est la raison de ma réorientation de carrière à l'âge de 31 ans ... Je ressentais le besoin d'enseigner, et avec l'âge, il y a une dimension plus émotionnelle encore. Je ressens ancrée en moi, un besoin de faire grandir par ce que je transmets en connaissance technique mais aussi humaine - j'ai un tempérament de pygmalion ! Désormais les jeunes sont mes "enfants génériques" et tout particulièrement les filles puisque j'ai une relation très forte de transmission à ma fille startuppeuse de la Génération Y. C'est la raison du Club Génération Startuppeuse - c'est mon soutien, mon passage de témoin à la génération d'après. Un engagement ! Une mentor peut donner son expertise, son expérience et son réseau et offre une légitimité avec sa recommandation ; pour une plus jeune, elle peut créer la confiance​ des autres donc faciliter le parcours de celle-ci. C'est pour cela que je suis farouchement contre tout système de mentorat imposé comme j'en ai vu dans des grandes sociétés. Le mentorat, c'est un coup de coeur réciproque. Il faut aussi poser un cadre, des règles du jeu dès le début sur les attentes réciproques et un process - J'ai élaboré une charte toute simple pour éviter un éventuel dérapage (une mentee qui dérange sans cesse, une mentore qui n'est pas disponible...). Et puis, il ne faut pas oublier l'importance du cross-mentoring : les jeune​s nous apprennent des tas de choses si on est à l'écoute. Je dis à la fin de mon livre " regardez-les, aimez-les et inspirez-vous d'elles​".