De l'importance d'être visible

Depuis une dizaine d’années, les réseaux féminins se multiplient, ouvrant la voie à un leadership plus juste et équitable. Les femmes d’aujourd’hui osent entreprendre leur vie et le font savoir ; en devenant visibles elles créent un nouveau champ des possibles. Un grand pas vers l’égalité.
Valérie Abrial
Les femmes millenials font preuve d'une ambition sans complexe, mais cette dernière est toujours mal acceptée par la société.
Les femmes millenials font preuve d'une ambition sans complexe, mais cette dernière est toujours mal acceptée par la société. (Crédits : Itsock)

Contradiction d'une nouvelle ère : alors que les femmes de la génération Y, les Millénials, affichent sans complexe leur volonté de réussite professionnelle ­— 85 % des jeunes Françaises de 25 à 30 ans pensent qu'elles peuvent se permettent d'avoir plus d'ambition que les générations passées (1), l'égalité économique femmes-hommes n'est pas franchement au beau fixe. Au lieu de se résorber, l'écart entre les genres est même en train de se creuser ! Les chiffres sont sur ce point stupéfiants. En 2010 une étude Eurostat affichait la différence salariale entre les femmes et les hommes à 15,1% ; 7 ans plus tard, elle est de 15,8%. Autre constat peu réjouissant lui aussi : d'après le dernier Global Gender Gap Report publié en novembre dernier par Le Forum économique mondial de Davos, l'égalité femmes-hommes dans le monde ne sera pas atteinte avant 2234, soit 217 ans ! On a passé la barre des deux siècles alors qu'en 2016, on était à 169 ans. En dehors du fait que sur le plan éthique, cette situation est profondément injuste, il s'avère que sur le plan économique, c'est un gâchis monumental. Selon les experts de la Fondation Concorde l'égalité salariale à elle seule, générerait 62 milliards à l'économie française. A l'échelle planétaire, améliorer la situation de 75% des femmes touchées par les inégalités, générerait 11% d'augmentation du PIB en 2025 (2).

Insuffisance des lois et bonnes pratiques

Alors, que faire ? Car force est de constater que malgré les lois (rappelons celle de Copé-Zimmerman qui oblige depuis janvier 2017 les grandes entreprises à avoir au moins 40% de femmes dans leur comité de direction), et l'engagement des états — les pays nordiques en tête avec la France tout récemment par la voix de son président qui a porté l'égalité femmes-hommes grande cause nationale — l'écart égalitaire se creuse. Idem dans le milieu de l'entreprise : malgré les bonnes pratiques et les politiques RSE très impliquées sur le sujet, malgré l'exemplarité de certains groupes comme L'Oréal, Accenture ou Icade (en tête du dernier classement Ethic and Boards des grandes sociétés respectant le mieux la féminisation de leurs instances dirigeantes), toutes ces actions en matière d'égalité professionnelle n'y suffisent pas. Il semblerait que le problème soit plus profond et se niche dans un inconscient collectif peu préparé au changement.  Comme le formulait si bien Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie, dans l'une de nos précédentes éditions : « l'œil n'est pas encore habitué à voir des femmes patrons ». Même son de cloche pour la cheffe étoilée Hélène Darroze qui regrette que « les chefs femmes n'existent quasi pas et que c'est pour cela qu'on ne les voit pas ». Tous les secteurs sont concernés hélas : Alexandra François-Cuxac dirige la Fédération des Promoteurs Immobiliers, elle est la seule femme sur 590 hommes. Dans le secteur du numérique, seule 12% des startups sont dirigées par des femmes (3) ; ce qui fait dire à Delphine Remy-Boutang co-fondatrice de la Journée de la femme digitale : « on ne peut pas souhaiter devenir ce qui n'existe pas ; il faut ouvrir la voie et montrer l'exemple ». Un peu l'histoire de Zahia Ziouani qui, il y a 20 ans, a créé son propre orchestre pour devenir l'une des trop rares femmes cheffes d'orchestre — selon les chiffres de la SACD, on compte 21 femmes contre 586 hommes en France. Et que dire du secteur scientifique ? Certes, la présence des femmes a augmenté ces dernières années, les femmes médecins sont de plus en plus visibles mais très peu sont professeures de médecine ou à des postes de direction, quant au prix Nobel de Sciences, les femmes ne sont représentées qu'à 3%.

Alors qu'est ce qui cloche ? Qu'est ce qui fait que malgré leur ambition sans complexe, les femmes Millénials sont 79% à considérer que leur ambition, justement, a encore du mal à être acceptée par la société d'aujourd'hui ?

Changer le regard collectif

Et bien, il faut croire que les clichés ont la vie durent ; ils font mal aussi. Combien de femmes s'autocensurent et sont responsables de leur propre empêchement ? A force de subir de vieux discours machistes encore trop présents dans le corps professoral des grandes écoles (les témoignages des pages suivantes sont édifiants) et d'entendre à l'envi « ce n'est pas un métier pour vous », les femmes ont fini par y croire. Conclusion : hommes et femmes portent le poids d'un héritage socio-culturel dont il est bien difficile de se débarrasser. Au point que l'ambition reste l'apanage d'une certaine masculinité : un homme ambitieux est considéré comme une personne  normale; une femme ambitieuse, c'est mal vu. On se souvient de Sheryl Sandberg, n°2 de Facebook qui en 2012 à Davos lançait : « Plus un homme est puissant et a du succès, plus il est aimé. Plus une femme est puissante, moins on l'aime ». Mais pourquoi une femme dirigeante et puissante serait-elle une harpie ? Même le cinéma s'est emparé du cliché dans les années 80 et 90,  et a contribué à donner une image terrifiante des femmes influentes, dépeintes telles des pestes affreuses, prêtes à tout pour réussir. De Working Girl à Le Diable s'habille en Prada dans les années 2000, la femme de pouvoir y est représentée en méchante caricature piétinant tout pour réussir, y compris les femmes. C'est un fait, le leadership au féminin est très mal perçu. Une femme qui aime la compétition et le challenge, encore aujourd'hui, au regard de la société, ce n'est pas une qualité. Pire encore ! Quand une femme parvient à accomplir ses ambitions et à obtenir un poste de décisions, la vieille rengaine refait souvent surface « c'est parce que c'est une femme, elle y ait arrivé par son pouvoir de séduction ». Rarement sont évoqués ses compétences et son talent. Et le pire du pire, c'est que ce cliché perdure même chez certaines femmes. C'est le fameux pouvoir de l'inconscient collectif ! Fascinant et dangereux pouvoir dont on peine à s'affranchir. De fait, malgré la génération des Millenials, pour qui la réussite professionnelle fait partie à part entière de leur épanouissement, beaucoup reste à construire. Sans doute par des voies plus directes et plus proches de la société civile ; ce que certaines femmes ont compris depuis une dizaine d'années déjà en lançant leur propre réseau et en créant de nouvelles solidarités féminines, cassant enfin le mythe de la femme ambitieuse, solitaire et « serial killeuse ». D'aucuns diront d'ailleurs que le mythe fut créé par les hommes, effrayés par le leadership grandissant des femmes. Au fond, peu importe aujourd'hui. Mieux vaut se concentrer sur la reconstruction et s'attacher à la mentalité d'une époque nouvelle dans laquelle femmes et hommes, ensemble, ont soif d'un avenir plus responsable et plus juste.

L'éclosion des nouvelles solidarités féminines

Pour beaucoup, le XXIe siècle sera féminin ; et y à regarder de plus près, on ne peut que constater l'impact positif de l'éclosion des réseaux féminins, qu'ils soient sous forme de Forum, Club, Association, Fondation... Chiara Corraza, DG du Womens Forum, explique l'importance des réseaux féminins : « Nous développons une base de données internationale regroupant des femmes d'exception dans tous les secteurs de compétences qui pourra permettre aux décideurs internationaux de dénicher de nouveaux talents notamment pour les comex et les conseils d'administration. Nous attribuons beaucoup d'Importance aux rôles modèles. [...] Traditionnellement, les entreprises ont été construites par les hommes pour les hommes. Il est désormais indispensable que des femmes inspirantes situées aux échelons intermédiaires puissent donner envie et permettre au plus jeunes d'évoluer. Plus une femme réussit, plus elle doit se battre pour accompagner et promouvoir d'autres femmes. Elle a la responsabilité du give back aux plus jeunes »(4).

Car c'est bien de cela dont il s'agit dorénavant. Rendre visible le leadership au féminin, révéler les rôles modèles, valoriser celles qui occupent des postes de décision, celles qui ont créé leur entreprise. C'est en montrant des modèles de réussite que l'on concrétise la possibilité des ambitions et que mieux encore on montre la voie des possibles. Les femmes d'aujourd'hui l'ont bien compris ; elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir transmettre leur expérience et leur état d'esprit ; elles sont de plus en plus nombreuses à affirmer que les choses de la vie peuvent être différentes. Avoir envie de partager cette réussite-là, vouloir transmettre comme un devoir d'aider les autres à trouver les clés de leur propre réussite, donner sans retour et avec bienveillance : ce sont les nouveaux rapports d'une société empreinte de solidarités féminines. Le changement nous appartient. Un nouvel écosystème est possible qui souhaitons-le, contribuera enfin à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes.

1 : Source : Etude Opinion Way pour Cache Cache (juillet 2017)

2 : Source : Etude Women Matter du Mc Kinsey Global Institute 2015

3 : Source : étude de l'Agence du Numérique 2016

4 : Extrait d'une interview parue dans La Tribune hebdo n°212

Valérie Abrial

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Commentaire 1
à écrit le 17/01/2018 à 21:06
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L'éclosion des nouvelles solidarités féminines Pour beaucoup, le XIXe siècle sera féminin ; Sans doute, vouliez-vous dire le XXIe siècle ? Merci

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