High-tech : qui sont ces chasseurs de primes qui font plier les industriels ?

Par Delphine Cuny et Laurent Pericone  |   |  524  mots
La Tribune Infographie / SSAULNIER
Les "patent trolls" cherchent à s'approprier des brevets par tous les moyens, sans aucun autre objectif que d'en tirer le meilleur parti financier.

La bataille juridique sur les brevets ne se joue pas qu'entre industriels concurrents. Depuis une dizaine d'années, ont fleuri des sociétés spécialisées que l'on a baptisées « patent trolls » : les « pêcheurs de brevets ». Leur unique activité est la concession de licences, obtenues plus souvent de force que de gré, sur des brevets qu'elles achètent mais n'exploitent pas. Ces « trolls » attaquent des entreprises qui utilisent, parfois sans le savoir, une technologie protégée. Certains se contentent de quelques brevets clés, par exemple dans la fabrication d'écrans LCD. Ils disposent ainsi d'une rente à l'importation : chaque nouvel industriel voulant commercialiser son téléviseur dans le pays où ils opèrent doit payer la licence d'exploitation sous peine d'action en justice pour violation de brevet.

Research in Motion (RIM) a fait la douloureuse expérience des méthodes de ces « patent trolls ». En 2000, la société américaine NTP lui a proposé d'acquérir une licence pour des brevets portant sur une technologie de transfert d'e-mails proche de celle utilisée par le BlackBerry. Devant le refus du canadien, NTP engagea des poursuites et, en 2003, un tribunal américain a reconnu la validité des brevets de NTP et condamné RIM à verser des dommages et intérêts, lui intimant de cesser ses agissements, ce qui l'aurait obligé à se retirer du marché ! L'affaire s'est conclue en 2006 par la signature d'un accord de licence d'exploitation perpétuelle par RIM auprès de NTP pour un montant de 612,5 millions de dollars...

Depuis cette date, les litiges se sont multipliés. Et le poids des « patent trolls » dans les procès pour violation de brevet s'est considérablement accru. Une étude du cabinet PwC estime que les litiges dans lesquels ils ont été impliqués leur ont rapporté 12,9 millions de dollars de dommages sur la période 2002-2009, alors que les entreprises industrielles qui ont engrangé des procédures n'en ont récolté que 2,9 millions. Un déséquilibre qui illustre bien l'enjeu de la possession de ces brevets, devenus de redoutables armes financières même si les sommes demeurent modestes, les « patent trolls » faisant l'essentiel de leur pelote avec les royalties des licences. De l'argent d'ailleurs perdu pour l'innovation puisqu'elles ne le réinvestissent pas en R&D à la différence des industriels.

« Les ?trolls? sont un greffon, une verrue très spécifique du système américain », explique Christian Nguyen Van Yen, associé gérant du cabinet de conseil en propriété industrielle Marks&Clerk France. « Les États-Unis sont le seul pays où un procès sur un brevet peut coûter jusqu'à 3 millions de dollars sans aucun moyen de se faire rembourser les frais de justice ! »

L'Europe mieux protégée

Face à ce chantage, les entreprises préfèrent céder et signer un accord de licence, d'un montant généralement peu élevé, au plus de l'ordre de 300.000 dollars. « En Europe, le ?patent troll? Alliacense a essayé de s'implanter, mais il a échoué. Les entreprises attaquées peuvent se faire rembourser si elles gagnent », indique Christian Nguyen.

Notre dossier : la guerre des brevets