« La France a beaucoup d’atouts pour rattraper son retard en Big data »

Par Propos recueillis par Delphine Cuny  |   |  823  mots
« Les entreprises BtoB sont en réalité celles dans la plus mauvaise posture » car elles ne maîtrisent pas les données clients.
Alors que s’ouvre ce mardi matin le congrès Big Data Paris au CNIT à la Défense, Elias Baltassis, directeur au cabinet de conseil en stratégie BCG à Paris, responsable Big Data & Analytics, donne sa vision internationale de la transformation des modèles économiques à l’œuvre par le traitement de ce déluge de données.

Les entreprises françaises sont-elles mûres pour la révolution du Big Data ?

Elias Baltassis: Il y a un certain retard. D'ailleurs, c'est la troisième édition du salon du Big data qui s'ouvre aujourd'hui en France alors qu'au Royaume-Uni et en Allemagne on en est déjà à la sixième et septième année, c'est révélateur. Il y a une part structurelle, normale, dans ce retard : en techno, tout commence d'abord aux Etats-Unis, se diffuse ensuite au Royaume-Uni, puis dans le reste de l'Europe. Certaines entreprises françaises sont cependant assez en pointe, je pourrais citer un gros opérateur télécom et une grande banque. Je rentre des Etats-Unis où notre comité de pilotage d'un projet fondé sur le Big data, chez un grand acteur bancaire, se tient en présence du président directeur général. Nous lui présentons les enjeux: comment le Big data change la distribution, comment l'utiliser pour atteindre de nouveaux clients grâce au croisement des données, comment  vendre ces données à d'autres acteurs. En France, trouver un PDG qui s'intéresse au sujet est très rare : ce sont plutôt les directeurs marketing qui le voient comme une façon plus efficace de faire du « scoring. » Or tout va être transformé par la donnée, tout va être « dataïfié », les changements seront plus profonds.

Derrière l'effet de mode, est-ce que cette révolution devient réalité ?

Outre-Altlantique, le Big data et l'analytique ne sont plus cantonnés aux grands groupes de la distribution, de la banque ou des télécoms mais sont en train de se diffuser dans tout le tissu économique du pays, y compris les PME. La plupart des projets sont autofinancés en moins d'une année, car l'impact économique peut être très important. Une partie est quantifiable, quand il s'agit d'améliorer les campagnes marketing ou la tarification, une autre l'est moins, quand cela tient à l'amélioration de l'expérience client.

On constate aussi un début de pénurie de talents, ces « data scientists » spécialistes de la donnée, à la croisée de l'informatique, de la technologie et des maths. Ces compétences combinées n'existent pas vraiment et tout le monde s'arrache ce genre de profils. C'est une période en or pour les matheux, à condition d'être très pointus.

La France a-t-elle du coup une carte à jouer ?

Nous avons beaucoup d'atouts pour rattraper ce retard, la France est un pays d'ingénieurs. Elle peut rapidement se retrouver en pointe. Criteo est un très beau succès même si elle n'est positionnée que sur un petit segment du Big data, la publicité en ligne. Il y a d'autres très bons exemples comme Weborama. C'est vrai que notre régulateur, la CNIL, est plus sévère sur la protection des données personnelles, mais ce n'est pas le frein principal.

Quels sont les secteurs en première ligne de cette révolution ?

Je citais la grande distribution, la banque et les opérateurs télécoms. Ils ont presque tous commencé, parfois en créant un département dédié et en nommant un responsable au titre plein de termes à la mode comme Managing Director Customer Insight. Certaines entreprises pensent qu'en ayant recruté cinq « quants », des analystes quantitatifs, elles ont traité le problème ! Or il faut une stratégie, rechercher l'impact que cela aura sur toute l'organisation. En France, l'approche demeure trop souvent technique et utilitariste. C'est comme si on avait réduit la révolution d'Internet il y a quinze ans au sujet de l'optimisation des sites Web !

Les entreprises BtoB, dont les clients sont des professionnels, se sentent-elles moins concernées ?

En réalité, ce sont celles qui se trouvent dans la plus mauvaise posture. Elles doivent d'ailleurs effectuer une révolution pour transformer leur modèle en « BtoBtoC » car elles se rendent compte qu'elles peuvent perdre des marchés entiers en quelques mois si elles ne maîtrisent pas les données clients. Prenez un géant des cosmétiques : son client ce n'est pas vous ou moi, ce sont les distributeurs. Il lui est vital de réinventer sa relation client.

Vous parlez des banques, quid des assureurs ?

C'est un autre secteur traditionnel pour lequel c'est un enjeu crucial, il y a un vrai risque de désintermédiation. Par exemple avec la voiture connectée, qui va générer des milliards de données : les constructeurs connaîtront mille fois mieux les automobilistes que les assureurs et pourront créer leur propre petite compagnie d'assurance ou proposer un service sous marque blanche. Idem pour l'assurance habitation : British Gas propose des compteurs intelligents qui peuvent contrôler certaines prises et récolter des milliards d'infos sur les habitudes des gens, ce qui permet d'optimiser la consommation, de faire des modèles de tarification, etc.