"Pour réussir à se financer, il faut trouver des investisseurs visionnaires"

Par Sylvain Rolland  |   |  822  mots
Clémence Franc, cofondatrice de Novagray. (Crédits : DR)
À 27 ans, Clémence Franc pourrait révolutionner le traitement des cancers. Sa startup, NovaGray, a mis au point des tests sanguins qui identifient les patients susceptibles de développer de lourds effets secondaires lors d'une radiothérapie. Elle raconte à La Tribune le parcours semé d'embûches de son innovation, née en 2002 et toujours en développement.

LA TRIBUNE - Comment est née l'innovation de NovaGray ?

CLÉMENCE FRANC - La technologie développée par NovaGray est une innovation de rupture unique au monde. Elle permet d'identifier, avant le début du traitement de radiothérapie, les patients qui risquent de subir des effets secondaires lourds et irréversibles. Cela concerne aujourd'hui entre 5 et 10 % des malades. Notre solution permet de les identifier et d'adapter leur traitement. L'idée est née en 2002, il y a quinze ans, à l'Institut du cancer de Montpellier (ICM). La technologie a été développée par des médecins et pour des médecins, au sein d'une équipe dirigée par le Pr David Azria, un chercheur reconnu au niveau international et également chef du service de radiothérapie oncologique de l'ICM.

Mais l'entreprise NovaGray n'a été créée qu'en octobre 2015.
Pourquoi treize ans de gestation ?

Dans le domaine des technologies médicales, les délais de mise sur le marché sont en général très longs à cause de cycles de validation clinique très complexes. Ce fut notre cas. Nous avions besoin d'un nombre important de patients pour faire valider cliniquement notre innovation, ce qui prend énormément de temps. Au total, il a fallu quinze années de recherche pour effectuer deux essais cliniques. Nous avons obtenu leur validation en 2016, environ six mois après la création de la startup, que j'ai cofondée avec David Azria.

Si vous n'aviez pas rejoint le projet, la technologie serait-elle encore dans le laboratoire de l'ICM ?

Certainement. Même si cela arrive de moins en moins souvent, des innovations de rupture peuvent rester longtemps dans les tiroirs si elles ne trouvent pas la bonne personne, au bon moment, pour les amener sur le marché. Il faut un alignement des planètes difficile à trouver, car c'est avant tout une histoire humaine. C'est la rencontre entre deux personnes qui doivent partager une vision commune et se faire confiance.

J'ai rejoint le projet en 2014, justement pour réussir cette transition du labo à un produit commercialisable. Je développais à l'époque une autre startup, également dans le domaine de la radiothérapie, que j'ai préféré quitter, à la fois car je n'adhérais plus à son projet et parce que j'ai cru en la technologie développée par David. Étant ingénieure de formation et diplômée d'HEC, je me charge de tous les aspects stratégiques et financiers liés au développement de la société. NovaGray est née en octobre 2015. Et notre produit devrait être commercialisé l'an prochain.

Comment le projet a-t-il été financé entre 2002 et 2015, et comment vit NovaGray depuis sa création, puisque vous n'avez pas encore de clients ni de produit ?

Les deux essais cliniques ont été financés par l'Institut national du cancer (Inca) et labellisés par la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). La recherche est plutôt bien soutenue en France. Depuis la création de la société, nous avons obtenu le marquage CE et trois nouveaux brevets, nous avons monté le conseil stratégique et scientifique... Nous avançons vite et de manière agile, malgré le manque de moyens. Nous avons également gagné une dizaine de prix et distinctions, qui nous ont apporté des subventions. En 2016, nous avons levé 300 000 euros en amorçage auprès de business angels. Au total, NovaGray a récolté un peu moins de 1 million d'euros depuis 2015.

Comptez-vous effectuer bientôt une levée de fonds plus conséquente ?

Oui. Nous sommes aujourd'hui trois dans l'entreprise, sans compter Daviz Azria qui continue son activité de médecin-cher-cheur. Nous préparons actuellement une levée de fonds d'environ 3 millions d'euros auprès d'investisseurs privés. Cet argent nous permettra de recruter cinq personnes pour développer notre technologie et pour lancer sa commercialisation auprès des oncologues-radiothérapeutes, car ce sont ceux qui convaincront les hôpitaux et cliniques de s'équiper. Dans quelques années, il faudra que nous levions plus d'argent, environ 10 millions d'euros, pour accélérer et attaquer le marché européen.

Les fonds aiment investir dans des startups qui ont déjà des clients.
Les contacts sont-ils difficiles ?

Aucun entrepreneur ne vous dira que lever des fonds est simple. Mais nous avons beaucoup de contacts et nous pensons pouvoir clôturer la levée de fonds d'ici à mi-2018. Nos brevets, qui protègent notre innovation, ainsi que les données publiques dont nous disposons grâce à nos essais cliniques sont des avantages. Nous avons aussi beaucoup avancé sur la partie remboursement par la Sécurité sociale. Mais il est vrai qu'il reste difficile pour une deep tech de lever des fonds, car nous ne remplaçons rien qui existe déjà, nous créons quelque chose à partir d'une innovation de rupture. Il faut donc trouver des investisseurs courageux et un peu visionnaires.

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Propos recueillis par Sylvain Rolland