Bourse : Pourquoi Facebook perd des amis

Par Delphine Cuny  |   |  953  mots
Facebook a du mal à se faire "liker" par la Bourse. DR.
Pas de lune de miel entre la Bourse et Facebook, pas même un accueil très amical. Après une première séance poussive, sauvée par l'intervention massive des banques introductrices, vendredi, l'action du premier réseau social mondial a tout de suite ouvert en nette baisse lundi, pour sa deuxième séance de cotation, plongeant sous son prix d'introduction de 38 dollars (à 34,77 dollars à 2h30 de la clôture). Pourtant, l'entreprise californienne a levé les fonds et obtenu la valorisation qu'elle souhaitait. Comment expliquer que la Bourse se détourne aussi vite de l'introduction de l'année ? Premières explications en trois points.

1. Une action qui monte le premier jour n'est pas une introduction réussie
Introduction historique, événement de l'année : cette entrée en Bourse, du fait du montant record de fonds levés (16 milliards) et de la valorisation gigantesque pour une nouvelle venue se hissant d'emblée dans le top 10 des valeurs high tech, se devait d'être tonitruante. C'est aussi statistiquement la norme qu'une nouvelle venue s'apprécie, de 32% en moyenne. Un phénomène accentué chez les sociétés plaçant une petite part du capital, créant un « effet rareté », comme Groupon, ce qui n'est pas le cas de Facebook.

Or, pour le célèbre Henry Blodget, spécialiste des valeurs Internet, « ceux qui considèrent que l'IPO de Facebook est un flop parce qu'il n'y a pas eu de bond le premier jour ne réfléchissent pas. La société a obtenu une valorisation généreuse, à 100 fois les bénéfices. Le but d'une IPO n'est pas de bondir le premier jour » faisait-il valoir ce week-end sur son compte Twitter. Cet ancien analyste star de la première « bulle Internet », qui fut interdit d'exercer son métier pour avoir exprimé par mail des opinions contraires aux conseils prodigués aux clients de sa banque, Merrill Lynch, a depuis lancé le site d'information financière Business Insider. Son argumentaire est simple : si une action bondit le premier jour, c'est que le prix a été mal fixé et que la société aurait pu lever davantage, comme il l'avait expliqué pour LinkedIn en mai 2011. « C'est comme si vous vendiez votre maison à une agence immobilière qui la revendrait le double le lendemain » plaide-t-il. Un jackpot facile pour des spéculateurs.

Si véritable flop il y avait eu, Facebook aurait dû abaisser la fourchette de prix proposée et le nombre d'actions mis à disposition : or il s'est produit l'inverse. Malgré tout, pour sauver la face, les banques introductrices, Morgan Stanley en tête, ont dû racheter en masse des actions vendredi pour éviter que le titre plonge sous les 38 dollars dès la première séance. Henry Blodget cite aussi l'exemple d'Amazon, qui n'avait pas baissé dès le premier jour en 1997 mais juste après, qualifiée d'« IPO pourrie » un temps avant que les bons résultats fassent regrimper l'action et oublier son démarrage poussif.


2. L'action est chère... par rapport à Apple ou à Google
Leader incontesté des réseaux sociaux dans le monde avec ses 901 millions de membres actifs par mois, Facebook est une formidable réussite commerciale et dégage des bénéfices confortables (1 milliard de résultat net en 2011, un taux de marge d'exploitation de 36% et de 19% en net au premier trimestre). Mais sa croissance ralentit déjà (+37% « seulement » pour la pub au premier trimestre par rapport au quatrième). Les multiples de valorisation ressortant de son prix d'introduction de 38 dollars (100 fois les profits de 2012, 65 fois ceux attendus l'an prochain) sont sans commune mesure avec ceux d'autres valeurs alliant croissance et rentabilité comme Apple (13 fois ses bénéfices de l'exercice en cours, 10 fois ceux du suivant) ou Google (18 et 12 fois).

Ainsi l'action Facebook pourrait retomber dans les 30 à 35 dollars, selon Henry Blodget, soit des ratios plus raisonnables de l'ordre de 35 à 40 fois 2013. Voire autour des 20 dollars si la croissance ne s'accélère pas.... Il est donc trop tôt pour conclure à un échec ou à une réussite de Facebook en Bourse. Sa position unique dans le monde l'Internet en a fait un « must-have » pour certains investisseurs. Cependant, les institutionnels ayant souscrit au placement des actions ont accepté de payer cette survalorisation : le bas de la fourchette de prix initiale était 10 dollars en deçà du prix final (28 dollars), soit 26% de moins. L'aiguillon est là pour l'équipe dirigeante sommée de réaliser de bons résultats confirmant le potentiel de croissance de la nouvelle star de la Silicon Valley.


3. Déjà beaucoup d'ennemis qui ont trouvé leur cible idéale
Le « buzz » autour de Facebook dure depuis des mois : cette introduction est attendue depuis plus d'un an et la valorisation de 100 milliards de dollars circule depuis l'été dernier. Malgré la réalité de son business, l'entreprise, du fait de sa taille et de sa notoriété, cristallise toutes les jalousies et les critiques sur cette nouvelle « bulle » qui sévit dans la Silicon Valley où l'argent coule à flots, où des « deals » à dix chiffres se scellent en un week-end, comme le rachat d'Instagram par Facebook pour 1 milliard de dollars. La jeunesse de son fondateur et patron, Mark Zuckerberg, tout juste 28 ans, est aussi un handicap, comme en témoigne la polémique sur le sweat à capuche (le « hoodiegate »), porté par le multimilliardaire à une réunion avec les investisseurs, symbole de son immaturité pour certains, de son manque de considération pour les marchés financiers pour d'autres. Un sweat que « Zuck » a tout de même troqué pour un costume et une cravate sombres samedi pour son mariage surprise avec Priscilla Chan, sa petite amie depuis neuf ans.

« Notre mission n'est pas d'être une entreprise cotée » a rappelé Zuckerberg vendredi, devant ses salariés en liesse, en sonnant la cloche d'ouverture du Nasdaq depuis le siège de Facebook, à Menlo Park, près de Palo Alto. Des courtiers parlent de « trading émotionnel », d'investisseurs influencés par la couverture médiatique très négative du week-end qui cèdent à la tendance vendeuse (en repli de plus de 9% à 34,77 dollars à 2h30 de la clôture). Les vendeurs de produits dérivés, comme les warrants qui permettent de jouer la hausse mais aussi le baisse de l'action, ont déjà sortis les outils pour parier sur un flop retentissant.