Pourquoi le deal Orange-Bouygues Telecom a échoué

Par latribune.fr  |   |  724  mots
Martin Bouygues, à la tête du groupe éponyme, était engagé dans un bras de fer avec Bercy ces derniers jours.
Après trois mois de négociations, Orange et Bouygues ont mis un terme à leurs négociations. Martin Bouygues a notamment refusé les exigences de l’Etat actionnaire.

Le deal ne se fera pas. Orange et Bouygues ont rompu leurs négociations concernant le rachat de Bouygues Telecom par l'opérateur historique. Après trois mois de discussions, Martin Bouygues a finalement refusé les exigences de l'Etat, premier actionnaire d'Orange avec 23% du capital.

Dans un communiqué publié au terme d'un conseil d'administration, Bouygues confirme qu'il « met fin aux discussions avec Orange en vue d'un rapprochement ». Lors des négociations, le groupe précise avoir « attaché une grande importance » à plusieurs éléments : « L'intérêt des collaborateurs de Bouygues Telecom et les garanties sociales à leur apporter dans une telle opération », « le niveau de participation de Bouygues dans le capital d'Orange et la gouvernance associée pour être un actionnaire significatif [...] », « le risque d'exécution » et « la valeur retenue pour Bouygues Telecom ». Or d'après Bouygues, « un accord sur l'ensemble de ces points n'a pu être trouvé ».

Empêcher Bouygues de grimper

Même son de cloche chez Orange, qui réunissait son conseil d'administration au même moment. « Un accord en vue d'un rapprochement avec Bouygues Telecom n'a pu être trouvé », déplore l'opérateur historique.

D'après Le Figaro, Bercy a conditionné l'entrée de Bouygues au capital d'Orange à 18,5 euros par action, alors que jusqu'alors, les négociations se faisaient autour de 17 euros. En outre, Bercy voulait empêcher Bouygues de grimper au capital d'Orange pendant 7 ans, couplé à un gel des droits de vote double pendant dix ans. Face à ces exigences, Martin Bouygues aurait donc décidé de jeter l'éponge. « L'Etat veut que les actions Orange soient valorisées à un prix très supérieur au marché en imposant des conditions très strictes en matière d'actionnariat à Bouygues », expliquait un peu plus tôt à l'AFP une source proche du dossier, jugeant ces conditions difficilement acceptables pour le groupe industriel.

« Macron joue au banquier d'affaires »

Ces derniers jours, les relations entre Emmanuel Macron et Bouygues étaient particulièrement tendues. Jeudi, d'après une source proche du dossier, les discussions se passaient « mal ». « Il joue au banquier d'affaires », nous disait-on. A Bercy, l'ex-France Telecom et ses 40 milliards de chiffre d'affaires est à juste titre considéré comme un actif stratégique, surtout en pleine révolution numérique. Or Bouygues briguait 15% du capital d'Orange. Une ambition jugée trop élevée par l'Etat, qui voulait garder la main sur l'opérateur historique.

En outre, Bercy jugeait que le prix fixé par Martin Bouygues pour sa filiale télécoms était beaucoup trop cher par rapport à la valeur réelle de ses actifs. Fixé à 10 milliards d'euros, il correspondait à ce que Patrick Drahi, le patron d'Altice (SFR) était prêt à débourser au printemps dernier pour mettre la main dessus, avant de voir son offre rejetée.

Sous couvert d'anonymat, ce vendredi, un analyste relativisait malgré tout les craintes de l'Etat liées à l'arrivée de Bouygues au capital d'Orange:

« En France, Martin Bouygues a des activités dans la construction et dans les médias avec TF1. C'est un capitaine d'industrie et un partenaire historique de l'Etat. Ce n'est pas un Carlos Slim [le milliardaire mexicain qui a fait fortune dans les télécoms], par exemple. En plus, Martin Bouygues fait preuve d'une dimension sociale très prononcée à l'égard de ses employés. Ce n'est pas un trader fou. Et puis franchement, je ne suis pas certain que l'Etat soit très actif concernant la stratégie d'Orange... »

« Niel ne jouait pas le jeu »

De plus, de source proche du dossier, l'attitude de Xavier Niel, le patron d'Iliad (Free), n'aurait pas aidé. « On a toujours senti que Xavier Niel ne jouait pas le jeu et n'a pas arrêté d'ajouter des conditions. Il pouvait risquer de faire planter l'accord à tout moment », avec pour objectif de racheter ensuite Bouygues Telecom à bas prix, estime-t-elle.

Dès lors, la perspective d'un mariage entre Orange et Bouygues Telecom s'est-elle définitivement envolée? Pas forcément. Même si dans son communiqué, Bouygues juge que dans ce marché, « l'hypothèse d'une consolidation devient désormais durablement exclue ». Avant d'assurer que Bouygues Telecom poursuivra sa stratégie stand alone. En attendant, Martin Bouygues, qui avait lui-même sollicité Orange pour vendre sa filiale, devra d'abord remotiver ses troupes après une grande période d'incertitude.