Comment doper son épargne en profitant de l'inflation

Par Eric Leroux  |   |  1931  mots
La Tribune Infographie
Portée par l'augmentation des cours du pétrole, la hausse des prix est redevenue un sujet d'inquiétude. Pour les épargnants, plusieurs solutions permettent de s'en prémunir... et même d'en profiter !

On la croyait ficelée, bâillonnée... Et pourtant, l'inflation est de retour. Les taux restent encore raisonnables à 1,7 % en rythme annuel à fin février en France. Mais avec la hausse des prix de l'énergie (le baril de pétrole a franchi les 120 dollars cette semaine) et des denrées alimentaires, le compteur pourrait s'emballer, malgré la vigilance de la Banque centrale européenne, qui a fixé un plafond à 2 % par an (un niveau dépassé dans l'Union, où l'inflation a bondi à 2,6 % en mars, selon les estimations d'Eurostat). Dans le même temps, les taux longs augmentent eux aussi, portés par l'endettement des États et les risques souverains...

Pour les épargnants, le retour de l'inflation n'est pas une bonne nouvelle, car elle engloutit une partie des rendements financiers distribués. Le livret A, même s'il est remonté à 2 % depuis février, permet tout juste de maintenir le pouvoir d'achat de l'épargne. C'est à peu près la même chose pour tous les placements de trésorerie. Cependant, ces produits présentent un avantage : leur rémunération est revue régulièrement en fonction de la conjoncture. Si l'inflation s'enflamme, les rendements remonteront.

A contrario, ce n'est pas le moment d'investir dans des produits qui garantissent un taux d'intérêt fixe dans le temps, comme les comptes à terme ou les obligations. Si les taux continuent à remonter, ils n'en profiteront pas. Sans parler de la perte possible en capital avec les obligations, puisque leur valeur diminue quand les taux d'intérêt remontent.

Menace sur l'assurance-vie

C'est à peu près le même sort qui attend les détenteurs d'une assurance-vie en euros. Avec un rendement moyen de 3,2 % net, les fonds en euros ont fait mieux que battre l'augmentation des prix l'an dernier, malgré la baisse continue de leurs performances. Mais tous les professionnels préviennent que ces rendements vont encore s'éroder : « Ils pourraient encore baisser de 10 à 20 centimes », soit 0,1 à 0,2 point, estime Cyrille Chartier-Kastler, président de Facts & Figures, une société de conseil, qui précise que « la hausse progressive des taux d'intérêt en Europe n'aura qu'une faible incidence sur le rendement de la partie obligataire des portefeuilles en 2011 ». Résultat : les fonds en euros les moins performants pourraient se retrouver en dessous de l'inflation, une fois déduits les prélèvements sociaux. Ce ne serait pas une première : jusqu'au début des années 1980, les détenteurs d'une assurance-vie ou d'une rente viagère perdaient de l'argent tous les ans en valeur réelle ! Et si les taux remontent, les rendements ne se redresseront que lentement, avec un retard dû à l'effet d'inertie de cette gestion.

Si les placements de « rentiers » ne sont pas à la fête quand les prix et les taux remontent, il existe certaines classes d'actifs qui, elles, résistent bien, voire qui surfent sur la vague. « La Tribune » a listé les principaux placements qui bénéficient de la hausse des prix (lire ci-dessous). C'est par exemple le cas de l'immobilier et de tous les biens réels (terres, art, bijoux...) dont la valeur ou au moins les loyers suivent en général l'inflation.

Vous n'avez pas d'argent à placer ? Il reste toujours la solution d'emprunter à taux fixe ! Ainsi, si les prix remontent ? et à condition que les revenus suivent... ? la charge réelle de remboursement s'allégera au fil des mois.

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4 pistes pour résister à l'inflation

1 - Les obligations qui profitent mécaniquement de l'inflation

Les obligations n'aiment pas l'inflation, qui dévalorise leurs revenus, ni la hausse des taux, qui leur fait perdre leur valeur en Bourse. C'est donc un placement à éviter si l'on craint ces scénarios. Sauf que certaines d'entre elles, conçues pour résister à ces éléments peu favorables.

Ce sont d'abord les obligations indexées sur l'inflation (OATi), qui sont principalement émises par les Etats. Comme l'indique clairement leur appellation, ces titres voient leur valeur et leur coupon s'apprécier lorsque les prix augmentent. Seul souci : aujourd'hui, les OATi rapportent très peu et leur rendement couvre tout juste l'augmentation des prix. En termes réels, elles ne rapportent donc rien. Il faudrait que l'inflation en France dépasse 2,2 % (hors tabac) pour qu'elles délivrent un rendement supérieur à l'OAT 10 ans. Mais avec ces produits, mieux vaut anticiper, car c'est ce que font les marchés : lorsque l'inflation est là, il est déjà bien souvent trop tard.

Autres créances que l'on peut qualifier de « résistantes » : les obligations à taux variable. En général indexées sur les taux monétaires, elles profitent de toute remontée des taux mais aussi de l'amélioration de la situation économique.

Ces titres peuvent être achetés en direct, mais cela reste complexe pour le particulier néophyte. Plus accessibles, il existe des fonds spécialisés (lire ci-contre). Ceux qui sont intéressés par l'investissement en direct peuvent toutefois se renseigner sur le site de l'Agence France Trésor (www.aft.gouv.fr).

2 - Les fonds qui misent sur les valeurs corrélées à la hausse des prix

L'industrie de la gestion collective prend le risque d'inflation au sérieux : depuis deux ans, plusieurs fonds (Sicav ou FCP) ont été créés sur cette thématique, avec l'objectif de protéger les capitaux, mais aussi de profiter de ces mouvements en battant les indicateurs. La plupart des fonds sont assez conventionnels et jouent majoritairement la carte des obligations indexées, même si elles n'offrent pas des performances remarquables. Ils l'accompagnent toutefois de produits dérivés offrant d'importants effets de levier.

« Il n'existe pas de vrais supports reflètant les hausses de prix, observe Philippe Delienne, président de Convictions AM, initiateur d'un de ces fonds. Pour atteindre notre objectif, nous diversifions les investissements sur plusieurs classes d'actifs ou certaines valeurs qui se valorisent dans ces circonstances ». Lesquelles ? Les matières premières (via des actions de sociétés minières dans les fonds), bien sûr, mais aussi des actions d'entreprises susceptibles d'adapter leurs tarifs rapidement, des obligations à taux variable, des titres subordonnés bancaires qui répliquent les hausses de taux, etc.

En moyenne, sur les cinq dernières années, ces fonds anti-inflation ont vu leur valeur progresser de 15 %, mais de seulement 2 % sur un an. Pas étonnant, puisque l'inflation est restée sage. Si elle redémarre, les performances devraient être mécaniquement plus élevées. Pour abriter, rien ne vaut une assurance-vie avec sa fiscalité douce !

3 - Les matières premières, à condition de pouvoir y accéder

Tous les économistes semblent d'accord sur un point : si l'inflation repart, ce sera dû en grande partie à la hausse des matières premières, notamment du pétrole et du gaz, mais aussi des métaux précieux. Si les investisseurs institutionnels peuvent jouer directement ces marchés au travers de contrats à terme, le particulier aura beaucoup plus de mal. « Les nombreux produits centrés sur cette thématique des matières premières sont des fonds en actions investis en général dans des sociétés minières ou pétrolières. Ils ne répercutent pas automatiquement les augmentations des cours des produits de base », prévient Pierre Garcia, chef de produits Bourse chez le courtier en ligne Fortunéo. Une dizaine de trackers jouent la même carte.

Pour investir directement sur du pétrole, de l'or, de l'argent et de multiples autres biens, il existe toutefois des « certificats ». Ce sont des produits relativement complexes comportant un risque de perte totale en capital, qu'il vaut mieux éviter de conserver trop longtemps. Attention, les valorisations ne répliquent pas forcément l'évolution des cours : BNP Paribas vient ainsi d'émettre un bonus capé qui rapportera 11 % le 10 novembre 2011 si le Brent n'a pas baissé de plus de 16 % d'ici à cette date.

Pour spéculer sur les matières premières, on peut enfin se tourner vers les warrants, turbos et autres CFD qui permettent de parier avec des effets de levier imposants. Frissons garantis !

4 - La pierre constitue encore et toujours le meilleur des remparts

L'immobilier est un rempart contre l'inflation. Car quand les prix grimpent, la valeur des immeubles augmente généralement d'autant et les loyers suivent la tendance. « Quelles que soient les époques, cela a toujours été vrai », observe Michele Sephons, PDG de Fiducial gérance. Que ce soit en direct ou via des SCPI (sociétés d'investissement collectif), il est donc possible de se mettre à l'abri d'une augmentation des prix, tout en profitant de rendements supérieurs à ceux de la plupart des produits financiers.

Selon le type d'immobilier, l'adéquation entre les loyers et l'inflation sera plus ou moins parfaite : « Dans l'immobilier de bureaux ou de commerce, les loyers sont souvent indexés sur l'indice Insee du coût de la construction, dans lequel l'inflation n'est qu'une des composantes », rappelle Michèle Sephons. Dans l'habitation, en revanche, un nouvel indice de référence des loyers (IRL) s'applique depuis le 10 février 2008. Il correspond à la moyenne sur les 12 derniers mois de l'évolution des prix à la consommation hors tabac et hors loyers. Il est donc parfaitement corrélé.

Malgré tout, si l'inflation grimpe mais pas les salaires, c'est la solvabilité des locataires qui viendra freiner les augmentations. La pierre a beau être un refuge, elle n'est pas une assurance tous risques...

Afin de diversifier les risques, le plus simple est d'investir au travers de SCPI : elles permettent d'investir dans plusieurs immeubles et locataires et ont rapporté 5,63 % en moyenne en 2010.

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Interview de Cyril Blesson, Associé de Pair Conseil / Les Cahiers de l'Épargne: « Dorénavant, un scénario de choc inflationniste ne peut être totalement exclu »

Existe-t-il un risque inflationniste aujourd'hui ?

La bouffée inflationniste des derniers mois s'explique par la hausse des cours des matières premières, notamment du pétrole. Mais il n'y a pas d'inflation pour des causes domestiques en Europe, car les salaires n'augmentent pas, le marché du travail est sans tension et l'offre de produits est excédentaire. Tant que ces ingrédients ne bougeront pas, la diffusion de l'inflation importée sera freinée. Le risque d'une spirale inflationniste comme dans les années 1970 est limité par la désindexation des salaires sur les prix.

La situation est-elle durable ?

Difficile à dire aujourd'hui. Le rythme de développement des pays émergents les conduit à consommer de plus en plus de pétrole et de matières premières, accentuant ainsi les pressions sur les prix, d'autant que s'y ajoutent les événements au Moyen-Orient. Notre devise est assez forte pour les amortir un peu ? et notre Banque centrale est ultra vigilante ! ?, mais on ne peut exclure que ce mouvement perdure. La situation pourrait même changer brutalement avec la crise de Fukushima. Le rejet de l'énergie atomique par les opinions publiques entraînerait un recours à des systèmes de production plus onéreux, au moins à court terme. Ce qui se traduirait mécaniquement par une forte hausse du coût de l'électricité, et donc de l'inflation. Et freinerait, de surcroît, la croissance économique. Ce scénario de choc inflationniste ne peut dorénavant être exclu, même s'il ne constitue pas notre anticipation centrale.

Les épargnants peuvent-ils vraiment s'en prémunir ?

Certains placements résistent mieux que d'autres aux hausses de prix. L'immobilier procure une bonne couverture, et les placements indexés sur l'inflation suivent par définition le rythme. Les livrets réglementés constituent aussi un bon abri, car leurs taux sont en grande partie indexés sur l'inflation constatée.