L'Île-de-France veut combler sa pénurie de logements

Par Mathias Thépot  |   |  2353  mots
Petit à petit, le visage du Paris du XXIe siècle prend forme. Ici, la maquette du futur quartier du Parc des expositions, rue de Vaugirard, Avenue Ernest Renan, livrable en 2017. Les tours ne sont plus tabou, même surmontées de petites éoliennes... / DR
La loi du 3 juin 2010 sur le Grand Paris affirme la volonté publique de construire 70.000 logements par an en Île-de-France. Cela exigera bien de l'imagination dans les mécanismes de préemption, la mise en place de financements astucieux, et le recours à des pactes privé-public intelligents. Un défi immense...

Pour la métropole du Grand Paris, il y a deux questions incontournables à régler : la péréquation fiscale et, surtout, le logement. Si la première sera assez vite réglée - du moins on peut l'espérer -, pour la seconde, c'est beaucoup moins sûr. Dans la métropole-capitale plus qu'ailleurs en France, les prix des logements sont en effet de plus en plus déconnectés de la réalité économique des habitants (le prix moyen de vente s'élevant à 5.500 € le mètre carré) et la file d'attente des candidats à un logement social s'est allongée pour compter désormais pas moins de 500.000 postulants ! Pire, l'Île-de-France, qui représente 20% de la population française, ne représente plus que 10% de la construction totale de logements. La faute à un système de production d'habitations totalement grippé et qui ne se décoincera pas tout seul. Pour les pouvoirs publics, il est donc plus que jamais impératif de lutter contre la pénurie de logements. Comment ? En faisant baisser les prix de l'immobilier - objectif non avoué cependant - ou d'en limiter la hausse à tout le moins.

La métropole du Grand Paris va donc récupérer les compétences logements des communes pour pouvoir s'attaquer à un Everest immobilier : construire 70.000 logements par an, alors même qu'à peine plus de 20.000 ont été mis en chantier en 2013 en Île-de-France. La chute est d'ailleurs continue puisque la moyenne de construction était de 31.000 par an entre 2002 et 2006, et de 47.000 au milieu des années 1990. La dernière fois que la barre des 70.000 a été passée, Valéry Giscard d'Estaing était encore président de la République ! Au vu de ces chiffres, il est clair que plus d'un spécialiste ou observateur estime inatteignable, voire utopique, cet objectif de 70 000 logements construits par an. À ces Cassandre, d'autres experts répondent que, vu l'ampleur du problème, il faut se donner des objectifs ambitieux pour mieux avancer. « Pas le choix ! », lancent-ils.

« Créer un choc de l'offre foncière »

En 2040, la population francilienne serait comprise entre 11,8 et 13,8 millions d'habitants, suivant les différentes hypothèses retenues sur la fécondité, la mortalité et les migrations, explique le think tank La Fabrique de la cité. Ce qui veut dire que la population de la région devrait augmenter de 750.000 personnes entre 2007 et 2025, puis de 450.000 entre 2025 et 2040. Conséquence très concrète : certains spécialistes avancent que, si rien n'est fait, il manquera 1,2 million de logements dès 2030. Autrement dit demain matin, ou presque.

Pour autant, la région parisienne ne manque pas d'atouts pour pouvoir construire. Et d'abord d'un élément essentiel : le foncier. Dans ce domaine, « il y a largement de quoi faire », assurent les experts du secteur impliqués dans le projet du Grand Paris. Il y a d'abord les terrains autour des 72 nouvelles gares, zones éminemment stratégiques. Le potentiel de logements constructibles sur un rayon de 800 mètres autour de ces gares est de 15.000 unités par an pendant vingt-cinq ans, calcule Catherine Barbé, directrice des partenariats stratégiques de la Société du Grand Paris. De fait, autour de ces gares, 4.000 hectares sont aujourd'hui sous-densifiés.

Or, c'est par « la massification et la densification des opérations d'aménagement urbain », qu'il sera possible de « créer un choc de l'offre foncière bénéfique à la production de logements », martèle Thierry Lajoie, président de l'Agence foncière et technique de la Région parisienne (AFTRP).

Pour réaliser ces opérations d'envergure, les contrats de développement territorial (CDT) devraient être une arme décisive. Ces démarches contractuelles engagent notamment l'État, représenté par le préfet de région, les communes et leurs groupements à construire des logements. Dans le cadre du Grand Paris, 21 CDT sont en discussion, dont au moins 13 ont déjà été signés.

Grâce à cet outil, « la construction de 40% des 70.000 logements espérés est déjà organisée ! », se réjouit Jean Daubigny, préfet de Paris et de la région Île-de-France.

Sans doute. Mais il s'agit pour l'instant d'engagements des élus qui ne préjugent pas de l'exactitude du résultat final. Le bon côté de la chose, c'est que la machine est bel et bien lancée...

Un bonus financier pour les maires bâtisseurs ?

 Engagées à l'échelon intercommunal, ces opérations permettent également de passer outre la fébrilité - pour ne pas dire l'hostilité - de certains élus locaux. Le « bâtisseur » n'est pas en effet - quelle que soit sa couleur politique - le type de maire le plus fréquemment rencontré en petite couronne parisienne. Pourquoi ? Trop d'entre eux ont en tête ce vieil adage électoral : « Maire bâtisseur, maire battu. » Le malthusianisme foncier est donc particulièrement prégnant dans les communes périurbaines d'Île-de-France, dont beaucoup sont concernées par le Grand Paris, et où personne n'accepte facilement les opérations de densification.

« Pour le logement social notamment, il y a une vraie réticence », a constaté Jean-Luc Poidevin, le directeur général délégué Ensemblier urbain chez Nexity.

Sur le plan économique, les maires ont également davantage intérêt à favoriser l'implantation d'entreprises sur leur territoire, au détriment des logements. Car même si la manne de la taxe professionnelle s'est tarie, les entreprises génèrent encore davantage de rentrées fiscales que les habitants et, surtout, moins de dépenses publiques d'équipements (écoles, bibliothèques, aires de jeux, etc.). C'est ce conservatisme, doublé d'une préférence fiscale et financière, qui a conduit à créer des déséquilibres importants entre les communes et des bassins d'emplois éloignés des « bassins de logements ». C'est pour cela que, dans le cadre du « Grand Paris du logement », le gouvernement travaille sur une aide financière spécifique pour les maires bâtisseurs avec les banques qui soutiennent les collectivités locales. Il s'agit notamment de les aider à réaliser les équipements publics (crèches, écoles, terrains de sport, etc.), que demandent logiquement les nouveaux habitants. Les modalités de ce bonus devraient être inscrites dans la prochaine loi de finances.

L'enjeu clé : la maîtrise des prix du foncier

Parallèlement, les pouvoirs publics devront faire preuve de la plus grande rigueur en matière de transfert des compétences d'urbanisme des différentes communautés d'agglomérations vers la métropole du Grand Paris. En particulier pour celles qui avaient commencé à trouver leur rythme de croisière.

« Il sera important de gérer finement cette transition, car les communautés d'agglomérations vont disparaître, et il ne faudrait pas que l'on aboutisse à un blocage du système », avertit Daniel Biard, président du bailleur social Polylogis.

Or, force est de constater que la simple urgence de la situation ne sera pas suffisante pour lever les blocages administratifs potentiels...

Si le foncier ne manquera donc pas et si le pouvoir de décision sera plus concentré, encore faut-il que les prix des logements soient accessibles pour les ménages. Au cours des dix dernières années, les entreprises de construction ont fait face à une inflation de leurs coûts de revient. Ce qui empêche les promoteurs en bout de chaîne - jurent-ils - de commercialiser des logements à des prix abordables. Certes, il y aura les effets mécaniques du choc d'offre annoncé sur le coût du foncier. Celui-ci représente en moyenne 25 % du coût d'un logement en Île-de-France, et « jusqu'à 60% à Paris et première couronne », précise Jean-Luc Poidevin. Mais en attendant le choc, il faudra agir sur les autres composantes.

Sur ce plan, beaucoup de nouveaux systèmes sont en train de se mettre en place, avec en particulier des mécanismes ingénieux de partenariats public-privé où celui qui possède le foncier le cède à bas prix à celui qui construit ; et lui permet in fine de vendre ou de louer à un prix inférieur à celui du marché, c'est-à-dire dans les cordes du ménage moyen francilien. Ce type d'initiative a déjà été expérimenté à Saint-Ouen, ou dans le cadre de la communauté d'agglomération Plaine Commune, qui rassemble les villes d'Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, La Courneuve, Île-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Stains et Villetaneuse. Les acteurs du Grand Paris, privés ou publics, s'accordent tous à dire qu'il faut développer au maximum ce type de mécanisme grâce à la signature de pactes qui instaurent une règle du jeu commune.

« Si l'on cumule cela avec la politique de mobilisation du foncier, on diminue forcément les prix », assure Jean-Luc Poidevin.

Attirer les « Zinzins » et raccourcir les délais

Pour s'y retrouver financièrement, les pouvoirs publics, via des établissements publics fonciers (EPF), mènent un travail de veille foncière pour saisir les opportunités et constituer des réserves. Les EPF utilisent le droit de préemption du foncier ou, dans des cas plus extrêmes, l'expropriation. L'idée est toujours de maîtriser les prix. L'EPF prend en général le risque lié à l'urbanisme en acquérant le foncier le plus longtemps possible avant le démarrage du projet pour que, à la revente, la rente captée - autrement dit la plus-value - puisse au moins financer les aménagements publics de proximité. Cette politique permet aussi de réguler la qualité des projets.

La gestion des EPF se doit d'être très fine, car « en Île-de-France, les friches correspondant à la désindustrialisation ont déjà été largement reconquises, elles sont de moins en moins nombreuses [...]. Le terrain à bâtir est le plus souvent un terrain déjà bâti », explique Gilles Bouvelot, directeur général de l'Établissement public foncier d'Île-de-France.

Exit les champs et les prés à racheter. Il s'agit plutôt de longues enfilades d'entrepôts ou d'usines comme le long du canal de l'Ourcq.

Moyennant quoi, « le renouvellement est désormais de plus en plus réalisé sur un tissu économique vivant, ce qui pose un problème de coût », ajoute-t-il.

En outre, les propriétaires en place, au courant des opportunités financières découlant du Grand Paris, n'hésitent pas à faire du zèle pour que l'EPF achète leur terrain le plus cher possible... Ce qui est loin d'être anodin, car c'est en fonction de la capacité de l'EPF à acquérir le foncier à bas coût que pourront, in fine, être mis sur le marché des logements moins onéreux.

Autre solution possible : faire revenir les investisseurs institutionnels. Ils se sont désintéressés de l'immobilier résidentiel depuis le début des années 2000, faute de rentabilité. Dans ce cadre, une filiale de la Caisse des dépôts, la SNI, a lancé un appel à projet nommé Argos, avec pour objectif de construire 10 000 logements locatifs dits « intermédiaires » destinés aux classes moyennes, dont une partie dans le cadre du Grand Paris. Les investisseurs participant au projet bénéficieront d'une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pendant quinze ans, ainsi qu'un taux de TVA préférentiel de 10 % sur la construction des logements.

De leur côté, les opérateurs privés assurent chercher aussi des économies dans le processus de construction. Le coût de la main-d'œuvre pouvant difficilement tomber plus bas, c'est sur l'industrialisation de leur production qu'ils tentent de peser.

« C'est moins sur les coûts des travaux que l'on peut gagner, mais davantage sur le délai de réalisation. Si l'on fait passer de vingt-quatre à dix-huit mois le temps de sortie d'un logement, on baisse les prix », assure Jean-Luc Poidevin.

De plus en plus de maîtres d'ouvrage font pré-construire les logements en usine, notamment grâce à la filière bois.

3.400 normes pour construire un logement !

Les entreprises du secteur de la construction pourront-elles assumer cette production et suivre ce rythme ? Sur un plan quantitatif, bien sûr, et surtout qualitatif. Certains en doutent. Les périodes fastes de production de logements ont souvent vu sortir de terre des habitations de moindre qualité. De surcroît, la filière construction souffre.

« L'immobilier, les cabinets d'architectes, les ingénieurs, et nous, les artisans du bâtiment : l'ensemble de la chaîne est affaibli », déplorait récemment Patrick Liébus, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).

Avant d'ajouter, inquiet : « La mécanique avait ralenti, là elle s'emballe, mais dans le mauvais sens »...

Reste un frein qui est loin d'être négligeable. Qu'elles soient pratiques ou énergétiques, l'accumulation des normes de construction fait cependant enrager les professionnels.

« Il y a aujourd'hui 3.400 normes qui s'appliquent pour la construction d'un logement ! », s'énerve Jean-Luc Poidevin.

Et ce n'est pas le moratoire de deux ans sur l'instauration de nouvelles normes techniques, annoncé par François Hollande, qui calmera les grognons. Le salut viendra peut-être des 50 mesures de simplification pour la construction annoncées le 25 juin par le Premier ministre, Manuel Valls. Du reste, une chose est claire : sans simplification des normes, il sera ardu de construire ces 70.000 logements.

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>> FOCUS Rendez-vous en 2016...

Dans l'entretien exclusif publié dans La Tribune en mars 2014, Claude Bartolone, député de la Seine-Saint-Denis, président de l'Assemblée nationale et candidat à la présidence du Grand Paris, relevait que « la capitale va avoir de plus en plus de mal à fonctionner et "la main invisible du marché" va continuer à tout désorganiser si l'on n'agit pas ».

Il ajoutait qu'il y a « des choses non négociables, comme le logement et la mixité sociale », précisant que « l'État aussi va devoir repenser ses politiques et rationaliser. En ce qui concerne le logement dans la métropole, il disparaît en tant que financeur ».

Une manière de dire aux élus que beaucoup dépendra de leur engagement et de leur créativité, à partir du 1er janvier 2016, date prévue de la création de la métropole du Grand Paris ?