Impôts : l'ISF et le bouclier fiscal vont bien disparaître. Mais remplacés par quoi ?

Par Anne Eveno et Stéphanie Tisserond  |   |  973  mots
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L'objectif est de compenser la suppression de l'ISF et du bouclier fiscal par un autre impôt sur les revenus et les plus-values du patrimoine. L'avis de Philippe Marini Rapporteur général du Budget au Sénat.

À vouloir se débarrasser à tout prix d'un boulet ingérable politiquement, Nicolas Sarkozy ne va-t-il pas s'en créer d'autres, tout aussi lourds à porter à un an de la présidentielle ? En confirmant mardi et mercredi, notamment par la voix de sa ministre de l'Economie Christine Lagarde, son intention de supprimer le bouclier fiscal, et donc l'impôt sur la fortune (ISF), le chef de l'Etat a pris des risques.

Risque politique d'abord. On s'en souvient, Jacques Chirac avait supprimé l'impôt sur les grandes fortunes (IGF) en 1987. Un an plus tard, il avait perdu la présidentielle face à François Mitterrand, et avait acquis la certitude que cette suppression lui avait coûté l'élection. La situation est certes différente aujourd'hui. Créé en 1989, l'ISF a déjà été bien écorné depuis 2003. Il sera surtout supprimé en même temps que le bouclier fiscal, symbole honni d'injustice. Et remplacé par un impôt « sur les revenus et les plus-values du patrimoine ». Pour l'heure, la majorité UMP se réjouit donc avant tout de ne plus avoir à porter le fardeau du bouclier. Auteur de l'amendement au projet de loi de finances supprimant l'ISF et le bouclier (qui avait rassemblé un tiers des députés UMP), Michel Piron s'est déclaré mercredi « très satisfait de voir repris nos principes ».

Le risque économique n'est pas moins grand. Il s'agit de récupérer les 4 milliards d'euros que rapportait l'ISF (moins les 700 millions du bouclier). Voire plus, puisque le gouvernement s'est engagé à réduire encore le déficit en 2012. Et tout cela sans augmenter les impôts.

Incertitudes

Où sont les marges de manoeuvre ? Le projet de loi de finances 2011 et la réforme des retraites ont déjà relevé la taxation des plus-values mobilières et immobilières (19 % plus 12 % de prélèvements sociaux). Dans leur amendement, les députés UMP augmentaient encore de huit points ces prélèvements, pour un gain de 3 milliards d'euros. Mais les fiscalistes estiment que les marges de manoeuvre sont faibles : « Le niveau d'imposition des plus-values en France est déjà élevé par rapport aux autres pays européens », affirme-t-on ainsi à la banque suisse UBS.

Une autre piste est de revoir les abattements qui s'appliquent aux revenus et plus-values du patrimoine. Mais là encore la marge n'est pas à la hauteur des enjeux. Restent des solutions qui fâchent : revoir la fiscalité de l'assurance-vie, produit populaire s'il en est. Toucher à la transmission du patrimoine, celle-là même qui avait été allégée en 2007. Ou aligner la fiscalité des revenus du patrimoine sur ceux du travail, en les intégrant au barème de l'impôt sur les revenus. Une sorte de bombe dans le milieu feutré de la finance. « Cela entraînerait un alourdissement de la fiscalité du patrimoine de près de 20 points », s'alarment déjà les fiscalistes d'UBS.

L'avis de Philippe Marini Rapporteur général du Budget au Sénat

La Tribune - Nicolas Sarkozy a confirmé mardi la suppression de l'ISF et du bouclier fiscal. Quels doivent être les axes de la réforme fiscale sur le patrimoine ?

Philippe Marini - Les maîtres mots de cette réforme doivent être : compétitivité, équité et efficacité. Cela dit, si l'ISF est effectivement supprimé, le manque à gagner pour l'Etat devra être strictement compensé, et je doute à ce stade que les revenus du patrimoine et les plus-values nous offrent une marge de manoeuvre suffisante. J'espère en tous cas qu'on ne cédera pas à nouveau à cette tentation de ravauder, de rechercher des montages exagérément complexes, qui est une maladie de la fiscalité française.

- Vous appelez à plus de rigueur. Pensez-vous que le nouveau gouvernement saura davantage entendre vos arguments ?

- Il le faudra bien car les circonstances internationales sont à nouveau difficiles. L'événement le plus important du week-end n'est pas le remaniement gouvernemental, mais la survenance de turbulences graves sur les dettes irlandaise et portugaise. Dans ce contexte, la France doit être d'autant plus sérieuse pour réduire son déficit. Le maintien de François Fillon est à cet égard une garantie. Il a su véritablement s'engager pour que le schéma de la loi de finances soit plus rigoureux que ce n'était prévu au début de l'été.

- Le projet de loi de finances 2011 est discuté à partir de jeudi au Sénat. Que ce soit sur Google ou la redevance télé, avez-vous eu des assurances du gouvernement ?

- Nous verrons en séance. Mais sur les deux sujets, si l'on me dit que mon amendement n'est pas opportun ou mal articulé, il faudra que le gouvernement me fasse une proposition alternative et qu'il apporte des réponses de fond. Sur la TVA restauration, le débat aura lieu en séance, que cela fasse plaisir ou non. Le coût annuel de la mesure représente la valeur d'un porte-avions.

- Vous dites que la réforme de la taxe professionnelle a un coût plus élevé que prévu pour l'Etat et qu'elle ne répond pas au problème de compétitivité des entreprises. Fallait-il alors la voter ?

- Je le maintiens : c'est une réforme très coûteuse pour l'Etat et peu satisfaisante pour certaines branches d'activité et pour les collectivités territoriales. J'ai participé à cette réforme pour l'optimiser. Etant membre de la majorité, c'était mon devoir. Pour autant, je pense que l'on pouvait faire différemment et certainement pour moins cher. Le Medef a démesurément grossi le handicap de compétitivité que représentait la taxe professionnelle. Il ne s'agit pas de revenir sur ce que l'on a fait, mais de ne pas avoir d'illusions sur ce que l'on a fait. C'est une réforme de pays riche. Propos recueillis par Stéphanie Tisserond