Jérôme Cahuzac : « Nous débrancherons la garantie implicite de l'Etat sur les activités spéculatives des banques »

Par Propos recueillis par Isabelle Repiton  |   |  1503  mots
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Président de la commission des finances de l'Assemblée Nationale, Jérôme Cahuzac est chargé du pôle budget, finances et fiscalité au sein de l'équipe de campagne de François Hollande. Il s'explique sur la réforme bancaire et la régulation financière prévues dans le programme du candidat.

1/ Quel est l?objectif de la séparation des activités de dépôt et spéculatives des banques, qui figure dans le programme de François Hollande ? Lehmann Brothers, banque d'affaires et Northern Rock, banque de détail, ont toutes deux fait faillite. Le modèle de banque universelle n'est il pas le plus solide ?

Dans le cas de Lehmann Brothers, les Etats-Unis ont considéré ne pas être les payeurs en dernier ressort et ont finalement dû sauver l?ensemble de leur secteur financier. Dans l?autre, celui de Northern Rock, le Royaume-Uni a dû purement et simplement nationaliser l?établissement un an après la crise et une intervention massive de la banque d?Angleterre ! Tout cela a un coût lourd pour les citoyens et contribuables et encourage des activités spéculatives qui ne créent pas réellement de valeur.
Notre réflexion est donc cohérente : dès lors que l?Etat est, de fait, payeur en dernier ressort et garant de fait à la fois les dépôts et la stabilité d?ensemble du système financier, il doit veiller à mieux maîtriser les risques qui l?engagent. Dès lors, nous n?acceptons pas de garantir des risques sous-estimés ou mal-estimés tels que les produits exotiques dont personne ne comprend les risques voire la nature, les hedge funds non régulés, etc. Ce risque doit être vendu au juste prix à ceux qui jouent avec la Finance, et le juste prix ne peut pas inclure la garantie implicite des Etats.
Nous débrancherons donc cette garantie des activités spéculatives par une séparation qui permettra, à la fois, d?identifier de manière autonome la garantie des dépôts et de réduire la taille des acteurs de marché qui rend, en elle-même, nécessaire l?intervention éventuelle de la garantie publique (« too big to fail »). Ainsi réévalués, ces produits seront sans doute moins échangés par ceux qui payant plus cher,gagneront dès lors beaucoup moins. Débrancher la garantie implicite des Etats des activités spéculatives et déconnectées de la réalité économique encourage dès lors le concept de banque universelle « à la Française », qui allie des activités de dépôt et des activités de financement de l?économie.
La réforme que nous proposons est donc cohérente avec l?objectif de préserver l?épargne des Français et le financement de l?économie. Mais qu?on ne s?y trompe pas, nous ne cherchons pas à travers ces mesures à affaiblir les banques françaises qui dans l?ensemble et jusqu?ici ont beaucoup mieux résisté à la crise que les banques anglo-saxonnes.

Où se situe la limite entre financement des entreprises et de l'investissement et activités purement financières et spéculatives ?

Nous avons des discussions extrêmement constructives et passionnantes avec les acteurs du secteur bancaire sur le sujet. Il sera peut-être difficile de tracer la limite précise mais on voit bien, en tout cas, ce que l?on a trouvé de part et d?autre.  Quand vous vendez une couverture sur le dollar à une PME européenne exportatrice de l?industrie de l?aéronautique, vous mettez la finance au service de l?économie. Quand vous empruntez pour souscrire des parts d?un hedge fund, lui-même surendetté, qui vous promet des rendements à deux chiffres en spéculant sur des instruments de couverture portant sur des actifs qu?il ne détient pas, il y a consensus sur l?aspect spéculatif et le risque démesuré de cette activité.

Les grandes banques françaises ont commencé à se désendetter et à réduire leur périmètre en cédant des activités de financement et d'investissement. Qu'apportera de plus une loi ?
La loi fixera notamment les modalités d?application de ce qu?on pourrait appeler la « garantie implicite de l?Etat », dans le respect de nos engagements européens. Notre responsabilité est de ne pas exposer l?Etat et nos concitoyens à des risques que nul ne peut apprécier précisément alors que certains établissements bancaires ont des bilans équivalents au PIB de la France !
Elle vise à réduire le risque systémique qui s?est accru au niveau bancaire de la zone euro. Je note d?ailleurs que les marchés analysent désormais souvent les ratios d?endettement publics en agrégeant à l?endettement public direct celui des secteurs financiers dont ils considèrent les Etats solidaires. En sécurisant davantage notre système bancaire, nous réduirons donc l?exposition de l?Etat et le coût de sa dette.

Quand serait adoptée cette loi?

L?agenda de la première année a été communiqué par François Hollande le 4 avril dernier et prévoit que le texte sera présenté au Parlement dès la session extraordinaire de l?été. Et nous poursuivrons notre démarche de concertation.

Cette réforme est elle conciliable pour les banques françaises à leur adaptation aux normes Bâle 3?

Naturellement puisqu?elle conduira, de fait, à un renforcement des règles prudentielles dans le prolongement des travaux internationaux.
La révision de la directive européenne CRD4 visant à la régulation financière va dans le bon sens et est compatible avec notre volonté de régulation, qui sera plus ambitieuse.  Notamment l'interdiction de certains produits ou pratiques spéculatives est très importante. Par ailleurs le cadre en préparation pour les résolutions bancaires va dans le même sens que notre volonté de séparation des activités de crédit et des activités bancaires : il s'agit avant tout de protéger l'argent des épargnants en limitant l'aléa moral.
Concernant les critères Bâle III, il s'agit de trouver le bon équilibre entre la sécurité ? indispensable - et le financement de l'économie réelle. Si les critères de solvabilité paraissent raisonnables, les critères de liquidité soulèvent des interrogations quant à leurs conséquences sur le crédit à l'économie. Par ailleurs, nous serons attentifs à ce que l'application de Bâle III ne crée pas de distorsion de concurrence entre les pays, et notamment entre les Etats-Unis et l'Europe.

L'engagement 7 du programme de François Hollande prévoit l'interdiction pour les banques françaises d'exercer dans les paradis fiscaux : comment ? avec quelles sanctions ?

La droite a prétendu lutter contre les paradis fiscaux avec des mesures d?affichage que le gouvernement s?est ensuite ingénié à vider de leur contenu en multipliant les exceptions et les « clauses de sauvegarde ». On a ainsi décidé une retenue à la source apparemment dissuasive pour taxer les intérêts versés vers un paradis fiscal tout en veillant discrètement ensuite à ne pas l?appliquer ni aux prêts en cours, ni aux instruments les plus spéculatifs que sont les CDS.
Notre politique sera, évidemment, bien différente et nous utiliserons toute la panoplie des sanctions pour faire respecter l?interdiction, à savoir amende administrative et fiscalité dissuasives.

Le programme prévoit aussi la hausse de l'imposition de 15 % des bénéfices des banque. Elle s?ajoutera à l?impot sur le sociétés ?
Nous établirons effectivement une taxation assurant une imposition de 15 % supplémentaires sur le bénéfice des banques. Ils?agira d?une taxation autonome dont les règles de calcul ne seront d?ailleurs pas nécessairement strictement alignées sur celles de l?impôt sur les sociétés mais seront définies pour assurer le rendement prévu. Le rendement de cette mesure est chiffré à 800 millions d?euros et ses paramètres seront calibrés en conséquence.

Concrètement, quelles mesures prévoyez vous pour lutter contre les produits toxiques ?

Nous avons deux objectifs. Le premier est naturellement la protection des consommateurs de produits financiers dangereux. Il est absolument inconcevable que puissent continuer à être commercialisés des produits dont le risque est incalculable pour une personne non initiée, et même une collectivité telle qu?une ville ou un hôpital. De même que notre législation interdit les prêts usuraires, dont la distribution est un délit puni d?emprisonnement, elle doit interdire la commercialisation aux consommateurs de produits dont ils ne peuvent manifestement pas mesurer les risques. En complément des nouvelles normes ainsi édictées, il conviendra également que nos régulateurs sectoriels agissent davantage dans ce domaine.
Notre second objectif est prudentiel et répond à la préoccupation de préserver les deniers publics. Nous ne tolérerons pas plus longtemps que des opérateurs de marché puissent mettre en péril la stabilité de notre système financier en utilisant des instruments aboutissant à une exposition excessive aux risques. En complément de la séparation des activités, nous pourrons faire appel à l?instrument fiscal en taxant davantage les risques de marché.