Le Pape s’attaque à la « tyrannie » des marchés

Par Giulietta Gamberini  |   |  808  mots
Une économie de l'exclusion et de la disparité sociale finit par tuer, condamne le Pape.
Le capitalisme débridé est « une nouvelle tyrannie » selon le Pape François qui, dans un texte publié mardi, invite les leaders du monde entier à lutter contre la pauvreté et les inégalités croissantes.

Depuis son élection en mars, le Pape François avait déjà ponctué ses sermons de critiques contre l'économie capitaliste. Dans sa première exhortation apostolique, appelée Evangelii Gaudium (La joie de l'Evangile) et rendue publique ce mardi, il dessine nettement sa vision économique et sociale et appelle à l'action l'Eglise comme les leaders politiques. L'inégalité sociale y figure notamment comme l'une des questions tenant le plus à cœur au nouveau pontife, qui exhorte à une révision radicale du système économique et financier.

Non à une économie de l'exclusion

«  Certains défendent encore les théories de la "rechute favorable", qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n'a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant ».

Les intérêts du « marché divinisé » sont transformés en règle absolue, condamne le Pape, produisant un système inégalitaire où les exclus, pire que les exploités, deviennent des « déchets ».

« Il n'est pas possible que le fait qu'une personne âgée réduite à vivre dans la rue meure de froid ne soit pas une nouvelle, tandis que la baisse de deux points en bourse en soit une. »

Contre l'économie de l'exclusion et de la disparité sociale, le chef de l'Eglise va jusqu'à invoquer le cinquième commandement du décalogue chrétien « Tu ne tueras point » puisque, souligne-t-il, un tel système finit aussi par tuer.

Non à la nouvelle idolâtrie de l'argent

« La crise financière que nous traversons nous fait oublier qu'elle a à son origine une crise anthropologique profonde : la négation du primat de l'être humain ! »

Le Pape regrette surtout que les objectifs humanistes de l'économie soient perdus de vue et que l'être humain soit réduit à l'un seul de ses besoins : la consommation. La négation du droit de contrôle des Etats, chargés de préserver le bien commun, par la « nouvelle tyrannie invisible », « parfois virtuelle », de l'autonomie absolue des marchés et de la spéculation financière y est pour beaucoup selon le Pape, qui pointe aussi la corruption et l'évasion fiscale.

«  Une réforme financière qui n'ignore pas l'éthique demanderait un changement vigoureux d'attitude de la part des dirigeants politiques, que j'exhorte à affronter ce défi avec détermination et avec clairvoyance, sans ignorer, naturellement, la spécificité de chaque contexte. »

Le pontife invite notamment à revenir à une économie et à une finance humanistes ainsi qu'à la solidarité désintéressée.

Non à la disparité sociale qui engendre la violence

« Quand la société - locale, nationale ou mondiale - abandonne dans la périphérie une partie d'elle-même, il n'y a ni programmes politiques, ni forces de l'ordre ou d'intelligence qui puissent assurer sans fin la tranquillité ».

Le Pape François met en garde contre la violence sociale, qui ne pourra jamais être éradiquée, au niveau national comme mondial, tant que l'exclusion et la disparité sociales persistent, empêchant tout développement durable et pacifique.

« Les revendications sociales qui ont un rapport avec la distribution des revenus, l'intégration sociale des pauvres et les droits humains ne peuvent pas être étouffées sous prétexte de construire un consensus de bureau ou une paix éphémère, pour une minorité heureuse ».

Une paix sociale obtenue par l'imposition serait fausse selon le suprême pasteur de l'Eglise, la dignité humaine et le bien commun se situant au-dessus de la tranquillité des catégories privilégiées.

Oui à une redistribution des revenus

« La croissance dans l'équité exige quelque chose de plus que la croissance économique, bien qu'elle la suppose ; elle demande des décisions, des programmes, des mécanismes et des processus spécifiquement orientés vers une meilleure distribution des revenus, la création d'opportunités d'emplois, une promotion intégrale des pauvres qui dépasse le simple assistanat »

Les plans d'assistance ne peuvent plus représenter que des solutions provisoires selon le Pape, qui appelle les gouvernants comme le pouvoir financier à agir pour assurer à tous les citoyens un travail digne, une instruction et une assistance sanitaire.

« L'économie, comme le dit le mot lui-même, devrait être l'art d'atteindre une administration adéquate de la maison commune, qui est le monde entier. »

Les conséquences que toute action économique d'envergure produit sur la totalité de la planète invitent les gouvernements à assumer leur responsabilité commune, rappelle le pontife.

Mais l'Eglise aussi, souligne le Pape, doit profondément se rénover et reprendre contact avec la réalité sociale, notamment la hiérarchie du Vatican.