Le décret sur les rémunérations présenté aujourd'hui

Par latribune.fr  |   |  1733  mots
Le gouvernement va dévoiler ce lundi après-midi son décret anti-bonus. la question de la rémunération des dirigeants d'entreprise et de son encadrement continue d'agiter la classe politique tout autant que celles des syndicats et du patronat. Aux Etats-Unis, le débat a aussi fait réagir Barack Obama qui demande de la restriction aux patrons des banques.

La polémique sur la rémunération des dirigeants d'entreprise continue de faire parler d'elle. Ce lundi après-midi, à 15h45, le Premier ministre présentera son décret destiné à encadrer la rémunération des dirigeants d'entreprises ayant bénéficié de l'aide de l'Etat. Christine Lagarde, ministre de l'Economie, et son homologue du Travail, Brice Hortefeux, seront présents.(retrouvez le communiqué du Premier ministre sur lequel le décret relatif à la rémunération des dirigeants d'entreprises est consultable)

D'après le journal "Les Echos", les bonus des patrons seront encadrés "jusqu'en 2010". Concrètement, le décret va concerner les banques qui ont fait appel à la Société de prises de participation de l'Etat et les constructeurs automobiles, qui bénéficient de prêts directs.

Dimanche, les réactions syndicales et politiques se sont poursuivies, selon le Journal du Dimanche, que le patron du promoteur immobilier Nexity, Alain Dinin, aurait à son tour renoncer à ses bonus et stock-options.

Du côté des socialistes, la mobilisation est toujours de mise sur le débat. Le chef de file des députés socialistes, Jean-Marc Ayrault , a ainsi déclaré samedi sur LCI être "pour la suppression des stock-options, pendant cinq ans, sauf pour les entreprises naissantes". "Si on ne fait pas ça, le système devient immoral et fou", a-t-il souligné. Le député socialiste s'est également prononcé pour le "plafonnement des salaires des dirigeants pour les entreprises aidées, à 300.000 euros", "sur le modèle de Barak Obama".

Pour sa part, Ségolène Royal, qui tenait samedi l'assemblée générale de son association Désirs d'avenir, a fustigé les "abus de richissimes prédateurs" de l'économie française, évoquant superbonus et parachutes dorés. "Tous ces abus de richissimes prédateurs sont à la fois le contraire de la justice, du respect et de la fraternité" a-t-elle asséné. Et de s'attaquer au gouvernement : "le pouvoir en place depuis deux ans oppose à cette prédation sur l'économie française une mollesse, une absence de courage qui me semblent particulièrement coupables", ajoutant que "cet excès de richesses et cette accumulation de pauvreté de l'autre divise et fragilise le pays".

L'ancien numéro un du PS, François Hollande a, lui, dénoncé ce dimanche les "excès" et la "démesure" de certains dirigeants de grandes entreprises concernant leur rémunération qui entraînent "une radicalité qui monte dans la société à l'égard des chefs d'entreprise". 

De son côté, François Bayrou, le président du Mouvement Démocrate (MoDem), a proposé la suppression des stocks-options pour les entreprises cotées en bourse, ainsi qu'une loi sur la "transparence" des échelles de rémunérations dans les entreprises. Le dirigeant centriste estime que les stocks-options sont "un système parfaitement judicieux pour les petites entreprises", mais pas "pour les sociétés installées du CAC 40", concluant que "le monde économique français gagnerait beaucoup à trancher cette question en les supprimant".

Sur le front syndical, on appelle le gouvernement à aller plus loin et frapper plus fort sur l'attribution des bonus aux grands patrons. Le secrétaire général de Force Ouvrière (FO), Jean-Claude Mailly, estime ainsi ce dimanche dans un entretien publié par le quotidien Sud Ouest Dimanche que les restrictions sur les bonus et les stock-options ne doivent "pas se limiter aux entreprises qui obtiennent le soutien de l'Etat". "Dans la situation de crise que nous traversons, il serait de la responsabilité du gouvernement de prendre deux décisions", explique-t-il. "Tout d'abord, pourquoi ne pas plafonner les dividendes d'une manière générale? C'est le Parlement qui doit en disposer par une loi. Ensuite, il faut qu'une loi oblige toute entreprise qui bénéficie de soutien public de l'Etat ou des régions, à des contreparties sociales notamment en termes d'emploi".

Dans un entretien au Journal du Dimanche, Ernest-Antoine Seillière, président du conseil de surveillance de Wendel et ancien président du Medef, estime pour sa part que "ce qui doit primer" dans les rémunérations des dirigeants "ce sont des critères de réussite", mais note qu'"il y a des abus". "Ce qui est choquant, c'est quand quelqu'un reste bien payé dans une entreprise qui va mal", poursuit-il, en ajoutant que "c'est pour ça qu'ont été conçues les rémunérations variables".

La réglementation par décret décriée

Mais si le fond du débat provoque toujours la polémique, la forme -celle d'une réglementation de la rémunération des dirigeants par décret - suscite aussi la critique. Petits actionnaires, patronat et administrateurs doutent ainsi de l'efficacité d'une nouvelle loi ou d'un décret pour encadrer la rémunération des dirigeants, et plaident plutôt pour l'autorégulation sous le contrôle des actionnaires.

"Il ne faut pas qu'une loi fixe les rémunérations. Nous sommes dans un pays libre. C'est aux actionnaires de le faire", estime ainsi Colette Neuville, la présidente de l'Association des actionnaires minoritaires (ADAM). Ce dimanche, la CFE-CGC d'Alcatel-Lucent a ainsi appelé les actionnaires "à exercer leur devoir de contrôle" sur les actions gratuites, les stock-options ou les retraites complémentaires attribuées aux dirigeants et à ne pas limiter l'assemblée générale à "une chambre d'enregistrement".

Pour sa part,  l'Institut français des administrateurs (IFA) recommande "la voie consistant à responsabiliser les dirigeants et les administrateurs, sous le contrôle des actionnaires et de l'opinion publique, plutôt que la contrainte par la loi et le règlement", rejoignant ainsi les positions du Medef qui s'est refusé à imposer aux patrons un cadre réglementaire à leur rémunération.

Seul le président de l'UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie), Frédéric Saint-Geours, s'est montré samedi moins réticent, estimant qu'un décret pourrait contribuer à refermer "la déchirure" entre la société et les entreprises. "Passons par un texte pour éviter que la déchirure ne s'acroisse", a relevé le patron de l'UIMM, en regrettant toutefois que l'Etat n'ait pas clarifié sa position au moment de la conclusion d'accords avec les entreprises concernées.

Des remous aussi aux Etats-Unis et en Allemagne

Si la polémique est vive en France, le débat sur la rémunération des dirigeants s'est aussi exporté à l'étranger. Ce dimanche, c'est Barack Obama lui-même qui s'est émeut des bonus accordés aux dirigeants des grandes banques américaines, les jugeant "inacceptables". Le président américain a reçu vendredi les directeurs des groupes bancaires qui ont reçu l'aide de l'Etat pour leur demander de montrer une certaine "restriction" en ces temps de crise.

"Montrez que vous avez compris que nous sommes en crise et que tout le monde doit faire des sacrifices", leur a-t-il demandé. "Il est vraiment difficile pour moi en tant que chef d'Etat de réclamer au peuple américain de faire des sacrifices pour aider à relever le système financier si il n'y a pas de conscience d'une obligation mutuelle et d'une aide mutuelle."

En Allemagne, la polémique a atteint les anciens dirigeants de Dredsner Bank. Ce dimanche, un ex-dirigeant de la banque a annoncé renoncer à ses indemnités. Dans un entretien au quotidien Bild, l'ancien président du directoire de la banque, rachetée par Commerzbank, Herbert Walter, précise qu'il se prive de son indemnité de départ de 3,6 millions d'euros.

"Au vu des conséquences considérables de la crise sur la Dresdner Bank, je renonce à cette indemnité", déclare-t-il au quotidien, tout en insistant sur le fait qu'il avait "légalement droit" à cette indemnité. "Les revenus des dirigeants devraient être davantage liés à la performance de l'entreprise à long terme que ce n'était le cas jusqu'ici", estime Herbert Walter, assurant comprendre "que le système de rémunération des banques provoque l'incompréhension de certains".

L'ancien dirigeant répond ainsi au souhait du gouvernement qui demandait un tel geste aux neuf anciens membres du directoire de la Dresdner Bank, qui ont perçu l'an dernier 58 millions d'euros de revenus. Dans un entretien au même quotidien Bild mais samedi, le ministre de l'Economie Karl-Theodor zu Guttenberg, estimait ainsi qu'il s'agissait d'une question de "décence que ces manageurs remboursent leurs primes ou qu'au moins ils en fassent don". Il faut dire que la Commerzbank, qui a été récemment partiellement nationalisée, a publié une perte nette de 6,6 milliards d'euros en 2008, plombée par sa filiale bancaire.

Réactions politiques

Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, a souhaité ce lundi matin que la période pendant laquelle l'Etat devra aider des entreprises et encadrer la rémunération de leurs patrons "ne dure pas plus de deux ans". "L'objectif, c'est évidemment de se limiter à la période de crise. Il ne s'agit pas tout d'un coup d'aller dans notre pays décider du mode de rémunération, du détail de la rémunération, de la hauteur de la rémunération de toutes les entreprises", a développé le député sur i-Télé.

De son côté, la secrétaire nationale du PCF Marie-George Buffet a annoncé ce lundi que les députés communistes déposeraient le 28 mai "un texte de loi" pour "donner de nouveaux droits aux salariés dans les entreprises". "Cela fait plusieurs semaines qu'on nous raconte des histoires avec cette moralisation, ce discours moralisateur sur les patrons", a déclaré la responsable communiste sur LCI se disant "pas du tout" satisfaite du décret destiné à encadrer la rémunération des dirigeants d'entreprises aidées par l'Etat.

"Cela ne suffit pas du tout, il faut un texte de loi - d'ailleurs nous allons en déposer un le 28 mai à l'Assemblée nationale - pour donner de nouveaux droits aux salariés dans les entreprises", a-t-elle indiqué. Elle a aussi estimé que les mesures pour encadrer la rémunération des patrons ayant reçu des aides publiques devraient être rétroactives. "On a versé de l'argent sans demander aucune contrepartie à ces entreprises ou à ces banques, c'est pas possible", a-t-elle dit approuvant, une fois n'est pas coutume !, la présidente du Medef, Laurence Parisot, qui s'est étonnée que "l'Etat n'ait pas demandé de garanties lorsqu'il a donné de l'argent aux entreprises".